La connaissance du bien et du mal : troisième partie

Note de l’auteur : La Connaissance du Bien et du Mal : Troisième Partie a été publiée dans le Jump Point 2.11. Rattrapez l’histoire en lisant la première et la seconde partie.

Puis quelqu’un s’approche de moi.

« Oh, z’êtes t’seule, Sœur ? L’est po un peu tard ? » demande l’homme.

Les étrangers ne vous abordent pas comme ça à Bazaar Street.

« Ou p’t’être qu’z’êtes po une Sœur. C’pas, l’rat. Ouais. T’jours un rat d’rue. » L’homme fait quelque pas supplémentaires vers moi et s’arrête à nouveau quand je recule.

Qu’est-ce qu’il a dit ? Toute la panique d’il y a quelques minutes rejaillit dans mon esprit et me raidit la colonne. J’a mêm’po d’ferrail’.

Je me tourne pour regarder l’homme pour la première fois. Il est rustre et a l’air pauvre, mais mieux vêtu que ce à quoi je m’attendais. Il est rasé mais sans trait distinctif. Je vois l’ombre d’un visage dont je me souviens bien.

Chef Dirk.

« T’souviens d’moi ? Bien. J’me souviens d’toi, Rat. J’me souviens qu’t’as une dette envers moi. »

Dirk et moi nous faisons face en dehors de la station. Il fait sombre à présent et seules quelques enseignes lumineuses de magasins à moitié fonctionnelles illuminent l’intersection dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes comme le jour et la nuit. J’ai changé de toutes les façons possibles et lui est en tout point semblable à celui qu’il était lorsque je travaillais pour lui en tant que rat d’équipement. La seule différence est que ses vêtements ont l’air plus neufs. Il avait une longueur d’avance sur moi et m’a surprise, mais il semble qu’il soit en train de gâcher son avantage. Il ne fait que me fixer droit dans les yeux avec un rictus sur le visage. Il sait que le score est de 1 - 0 mais c’est comme s’il attendait que je dise quelque chose.

« Bonjour, Dirk. » Je le prive de son titre et le salue en même temps. Il cille. J’affiche ma meilleure imitation de l’expression passive de S’per M’man et lui retourne son regard inquisiteur.

Score : 1-1.

« J’le savais mais m’gars l’croyaient po. T’vois… J’sa qu’t’es un rat malin. J’verrouillé ça y’a longtemps. Ouais, y’a longtemps, z’yeux verts. T’jamais pu l’cacher, ceux-là, hein ? »

Mince. Qu’est-ce qu’il veut dire à propos de mes yeux ? Fait chier. Score : 2 - 1.

« T’sais, une dette comme l’tienne s’accumule ‘vec l’temps. Intérêts. T’m’as perdu bien 20k creds y’a longtemps et on dit su’l’Bazaar qu’ce Haut a fait d’z’affaires ‘vec l’plupart des techs, sauf l’miens. Comme qu’si j’a une mauvaise réputation ‘cause d’toi. »

C’est pas bon. Les affaires manquées valent bien plus que leur valeur en crédits et, si ce que dit Dirk est vrai, je lui ai fait perdre gros quand ce client m’a vue tuméfiée et l’a blâmé pour ça. Il est probable que je n’aurais jamais gagné assez pour le rembourser. Si je n’avais pas été attrapée sur le rail ce jour-là…

J’entends des bruits de pas derrière moi et je sens la présence plus que je ne la vois. Deux autres, au moins. Proches, malheureusement. Je ne peux pas les laisser trop se rapprocher. Score : 3 - 1.

« Vous êtes trois ? Je pensais que tu étais un homme, Dirk. » Les malfrats s’immobilisent.

Le fichu regard de Dirk ne me quitte pas. Je ne peux pas le quitter des yeux, sinon il pensera que je suis faible ou que je perds mes moyens.

« Je ne possède pas ce que tu penses que j’ai, Dirk. Je n’ai pas un seul crédit. Les Sœurs n’en utilisent pas. Même ce manteau est un emprunt. Je ne suis pas assez jolie pour être vendue comme esclave. Je ne suis plus un rat. Donc est-ce que tu as un marché à faire ou est-ce que t’es juste là pour aspirer l’O2 ? » Un bluff total. Mieux que rien. Score : je perds largement.

Il rit et regarde ailleurs assez longtemps pour que je puisse jeter un coup d’oeil à chacune des brutes. De grands gars.

J’en sens la morsure avant que je ne réalise ce qu’il se passe. Le revers de Dirk me jette à terre. J’agrippe mon visage, en proie à la douleur et au choc, tout en sachant que si ça doit continuer, je ne peux rien faire pour l’arrêter.

« C’est c’que tu crois, rat ? Qu’les Sœurs bossent po ‘vec d’creds ? Quoi qu’tu crois qu’toutes ces infos servent ? L’Sœurs z’ont d’clients hauts. L’gardent leurs secrets. L’vendent d’z’infos. L’manipulent d’gens ‘vec leurs fichues infos. Salopes arrogantes. » Il crache et prend son temps avant de me regarder à nouveau. « Comment qu’tu penses qu’l’gardent l’lumières allumées et font cuire l’bouffe ? C’po gratos. Un rat comme qu’toi s’posé savoir ça. J’des trucs à t’apprendre, rat. Et l’Sœurs ont assez pour payer c’que tu m’dois. »

« Tu peux aller te faire voir. »

Ses yeux brillent de haine. « C’po compliqué p’moi d’garder un œil su’l’rats qu’viennent à ton école. Just’ pour êt’ sûr qu’leur arriv’ po d’mal. On v’drait po ça, hein, z’yeux verts ? »

La brute tire des ombres l’enfant que j’étais restée aider. Un énorme œil au beurre noir et des bleus sur ses bras.

« Lâche-mwe, s’pèce d’con d’ferraille. » Le gamin se débat. Dirk le gifle violemment.

Je crie presque en voyant ça. Le gamin veut juste apprendre quelque chose et ces connards le traitent comme une monnaie d’échange.

« Qu’est-ce qu’tu dis d’savoir qu’si t’fais po c’que je t’dis, l’en reste d’où ç’vient pour tous l’z’autres ? »

Il met sa main dans sa poche, en tire un cube plus gros qu’un poing et me le lance. Je l’attrape et un des coins se plante dans la paume de ma main.

« Prends ça et t’l’mets à côté d’précieux caveau d’Sœurs. T’appuies sur c’bouton et t’attends qu’y clignote. L’tripote po. L’scanne po. Fais-y gaffe. S’y r’vient cassé, ou bidouillé ou po normal, c’les rats qu’prendront. Comme qu’c’lui-là. » Dirk secoue l’enfant par le bras.

Il faut que je les distraie pour que l’enfant puisse s’enfuir. J’en veux pas plus sur les bras. Je ne sais pas comment je vais faire ça allongée sur le dos, mais je dois trouver quelque chose.

Je vois cinq silhouettes apparaître au coin et elles se mettent soudain à courir vers la scène que nous formons, Dirk et moi. Si ce ne sont pas d’autres hommes de Dirk, alors ils pourraient être des esclavagistes, ou pire. Je me tends et me prépare à me relever et courir.

Je raidis mon corps pour sauter sur mes pieds, mais je m’interromps en reconnaissant les silhouettes des Sœurs en habit avec les capuches relevées. Les cinq silhouettes vêtues de noir m’entourent.

Toute cette agitation est presque suffisante pour distraire Dirk et l’enfant se débat, mais n’arrive pas à se libérer.

Les Sœurs se ressemblent toutes avec leurs capuches relevées, mais l’une d’entre elles s’adresse directement à Dirk. « Qu’êtes-vous en train de faire à cet enfant ? » Dirk sourit et le relâche. Le gamin prend ses jambes à son cou.

Le départ de l’enfant est à peine remarqué par ses brutes alors que je soupire de soulagement. Je me souviens du cube dans ma main et je le range dans une de mes grandes poches de manteau.

« Quelle que soit la nature de vos affaires ici, c’est terminé. »

Dirk crache sur sa chaussure. « Nah, mais c’fini maint’nant. On s’vise à l’prochaine école, l’Sœurs. »

Mes attaquants s’en vont sans un mot de plus. Une Sœur me tend la main. « Tout va bien ? » demande-t-elle.

« Ouais, à peu près. » Le choc commence à se dissiper et je me mets à trembler légèrement.

Les Sœurs viennent me soutenir. « Il est temps de te ramener à la maison. »

* * *

J’entre en titubant dans ma chambre et je m’effondre. Qu’est-ce que je suis en train de faire ? Comment est-ce que j’ai pu me laisser acculer en pleine rue ? Et Dirk savait qui j’étais et que je vivais avec l’Ordre et…

Je remarque le machin cubique dans ma poche et je me sens obligée de l’en sortir. 5x5x5cm, un seul bouton et d’un noir brillant. Ça ne ressemble à rien de ce sur quoi j’ai pu travailler auparavant.

C’est pas bien grave, hein ? Rien que je ne puisse gérer toute seule. Il n’y a rien dans la bibliothèque qui pourrait faire du mal à qui que ce soit. C’est rien que des vieux trucs. Il n’y a quasiment rien qui vaille la peine d’être volé à moins que vous aimiez vraiment les vieux équipements et la lecture.

Mais il y a ce fichu caveau.

Tout ce que je dois faire est d’installer ce truc dans la bibliothèque et l’allumer. Ça fera ce qu’il veut. Mais les rats seront en sécurité. Dirk a dit qu’ils le seraient.

Si je ne coopère pas… Le connard a menacé mon école et mes gamins.

Mais je fais ça pour garder l’école ouverte. S’per M’man comprendrait, si je lui en parlais. Et il faut juste que j’allume le truc. Le mettre à côté du caveau. Simple. Et si je me fais prendre… Je le fais pour garder l’école ouverte. S’per M’man comprendrait.

La menace de Dirk me hante.

Les Sœurs parlent d’informations et de la liberté sacrée, mais ont un énorme caveau secret en plein milieu. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Et ce que Dirk a dit à propos de la vente d’information, des riches clients et de la manipulation des gens par les Sœurs ?

D’une certaine manière, je ne me sens plus autant en sécurité qu’avant, même dans ma propre chambre. J’ai l’impression d’être observée par Dirk, ou les murs, ou dieu, mais ça ne fait aucun sens.

Le cube est noir comme une ombre et je ne peux pas m’empêcher de le regarder fréquemment. Je l’attrape, je le mets dans le tiroir de mon bureau et je le referme. Je relâche l’inspiration que je retenais sans m’en rendre compte. C’est dingue à quel point un si petit objet peut causer autant de problèmes.

Le son de quelqu’un frappant à la porte me fait sursauter, mais le rythme est familier. « Entrez. »

S’per M’man rentre, l’air inquiet. « J’ai appris que tu avais fait une mauvaise rencontre. Tu vas bien ? »

« C’était juste un vieux malentendu, c’est tout. »

« Le bleu sur ta joue et la situation dans laquelle tu as été trouvée racontent une autre histoire, ma petite. »

« Vraiment, c’était rien. Il faut juste que je fasse plus attention à ne pas rester dans Bazaar après la tombée du jour. Ce genre de chose arrive tout le temps si on n’est pas prudent, j’ai juste fait une erreur. Pas de quoi s’inquiéter. »

« D’accord. Je vais te laisser récupérer. Si tu veux parler, je suis toujours prête à t’écouter. »

Alors que la porte se referme derrière elle, je sais que S’per M’man a plus de questions pour moi qu’elle n’en a posé. Je sais que j’ai plus de questions que je ne sais en poser.

Assise ici, à penser à... tous les « pourquoi. » Je transpire. Peur, colère et honte se mêlent en un nœud toxique dans ma poitrine.

Je me lève et ouvre mon placard. Le sol est à peu près propre. Je pousse de côté ce qui s’y trouve et je m’y introduis en rampant. Après ce qui me semble des heures, je finis par piquer du nez dans le seul endroit où je peux penser à me cacher, et ça n’aide pas. Y’a po d’sécurité cont’ t’propre esprit. C’existe po.

Soudain j’entends ma jeune voix dans ma tête, « D’mande pourquoi, et t’mourras. »

Je ne vais certainement pas laisser des menaces et les rimes des rues diriger ma vie à nouveau.

Je me relève, quitte le placard et me dirige vers le tiroir de mon bureau, que j’ouvre. J’inventorie mes options pendant un moment avant d’attraper le cube et de m’asseoir à mon établi.

Je vais commencer avec des scans passifs.

* * *

Les jours ne m’ont jamais parus aussi longs. Je peux à peine manger. Je n’ai rien trouvé. Les scans passifs ne me montrent rien que mes yeux ne puissent me dire. Le boîtier est fermement scellé. Même le bouton semble formé dans le verre. Pas de fente ou de jointure pour en forcer l’ouverture. Je n’ai pas été aussi frustrée depuis que j’ai dû étudier la biologie.

Cela commence à me peser lorsque je réalise le piège dans lequel je me suis fourrée. Je vole à l’aveugle sans plus d’informations. Dirk peut continuer à menacer les enfants des rues pendant des années et me forcer indéfiniment à coopérer. C’est trop tard pour en parler à S’per M’man. Mais j’ai toujours besoin de réponses et ce qu’il a dit à propos des Sœurs me fait douter de tout ce que je sais à leur propos.

J’arrive à parler seule à seule avec S’per M’am dans le réfectoire après le dîner le troisième soir. « S’per M’man, est-ce que je peux vous poser des questions à propos de choses que je me dem… auxquelles je réfléchis ? »

« Bien sûr que tu peux, ma petite. J’y répondrai de mon mieux. »

Si je la questionne trop directement à propos de ce que Dirk a dit, je vais me trahir, mais il faut que j’aie l’air curieuse, comme si j’avais gardé des interrogations pour moi.

« C’est pas grand chose. C’est compliqué, v’savez ? Ça vient juste comme ça. Comme par exemple, qu’est-ce que vous faites de toutes les informations que vous récoltez à part les étudier et les ranger sur des étagères ? »

« Nous les vendons ou, la plupart du temps, nous les donnons. Parfois nous les conservons et n’en faisons rien. »

Cette réponse m’abasourdit un peu, alors que je compare les mots de Dirk aux ramifications de cette affirmation. On dirait une réponse toute faite, mais elle sonne vrai.

« Comment est-ce que vous obtenez tout ce que vous rassemblez dans la bibliothèque ? Juste par les Pèlerinages ? »

« Parfois les informations nous sont léguées. De temps à autre, elles nous sont données librement. D’autres fois elles nous sont confiées à grand prix par les fidèles ou d’autres. Quand l’information est reçue au cours d’une confession, elle ne doit pas être répétée jusqu’à ce que cela soit moralement nécessaire ou jusqu’à la mort du confessé, et même alors toujours sans connexion avec cette personne. L’un de nos devoirs les plus sacrés est de faire en sorte que ce genre de choses ne soit pas perdu, mais les acquérir demande souvent que nous acceptions certaines clauses ou même des restrictions à certaines informations. C’est ce que nous conservons dans le caveau sacré. »

« Qu’est-ce que ça veut dire “moralement nécessaire” ? Je veux dire, qu’est-ce qu’une personne pourrait connaître qui soit si important ? »

« C’est la première fois que tu poses une suite de questions. » S’per M’man a attrapé ma curiosité sincère par la queue comme un chat jouant avec une souris. Je reste figée, essayant de ne pas réagir.

« C’est une très bonne question, » continue-t-elle. Je relâche la respiration que je retenais. « L’information en elle-même n’a pas de caractère moral. Ce sont les situations et les circonstances entourant l’information qui déterminent sa valeur morale. S’il s’avérait moralement mauvais pour nous de retenir ou supprimer quelque chose à propos d’un crime ou d’un événement, alors nous ne pouvons pas le dissimuler. Si nous sommes sous le sceau de la confession à propos de quelque chose qui n’a pas d’influence sur le monde, alors c’est mis à l’écart pour un temps. Cela revient à faire des évaluations subjectives, parfois, nous devons donc rester humbles et vigilantes concernant nos propres biais. »

C’est proche de ce que Dirk a décrit, mais complètement différent. « Mais et si une information du caveau ou du confessionnal, ou autre, pouvait faire du mal à des gens ? Même si vous la révéliez pour de bonnes raisons ? Pour manipuler des choses ? »

Merde, est-ce que je viens de dire ça à voix haute ?

« Est-ce quelque chose que tu as entendu, ma petite ? »

« Juste une fois, S’per M’man. »

Pendant une fraction de seconde, je pense apercevoir une fatigue sur son visage que je n’avais encore jamais vue. Peut-être est-ce de la tristesse. Après avoir cligné des yeux, elle a disparu.

« À chaque fois que l’Ordre libère une information du caveau du confessionnal en avance, cela doit avoir un effet quelconque. Si cela ne signifiait rien, il n’y aurait pas de raison de la diffuser. Ceux qui nous confient leurs secrets ont la plus grande foi en notre gestion et notre discrétion. » S’per M’man soupire et prend une inspiration plus longue que d’habitude. « Certains pourraient voir ce que nous faisons comme de la manipulation ou de l’ingérence. Peut-être particulièrement s’ils sont du mauvais côté de ce qui est révélé. Cela aussi serait subjectif, je pense. »

Dirk ne m’avait donné qu’une demi-vérité et l’avait déformée de surcroît.

« Ça doit être vraiment dur. Qui décide si cela arrive ? »

« Moi, » répond doucement S’per M’man. « Je pense que je vais me retirer, ma petite. Tu devrais te reposer également. L’école de la rue a l’air de te demander beaucoup chaque semaine. »

Même sans essayer de comprendre ce qu’il vient d’arriver à S’per M’man, j’ai beaucoup de choses auxquelles réfléchir. Les Sœurs vendent bien des informations, mais ce ne sont pas des transactions sous le manteau comme ce que voulait me faire penser Dirk. Bien entendu les infos du caveau changent les choses quand elles sont révélées, sinon les Sœurs ne les mettraient pas sous clé. Elles ont même un précepte à propos de la liberté de l’information, donc l’existence même du caveau est quelque chose d’important. Si tout est vrai, ce qu’elle vient de me dire change tout mais ne rend pas les choses plus simples.

Les rats d’équipement savent résoudre les gros problèmes, mais ça voudra dire dissimuler mes traces après avoir hacké ce machin. Je ne m’identifie plus comme un rat d’équipement, mais j’en ai certainement encore les compétences. Plus, même, que quand j’étais un rat, grâce à S’per M’man.

Je retourne à ma chambre. Je ne dois pas faire de chose stupide, mais si ce que S’per M’man a dit est vrai, alors je ne peux pas laisser Dirk avoir ce qu’il veut. Quelques antennes et un mobiGlas peuvent faire beaucoup quand on sait comment les faire danser.

* * *

Mes scans actifs me montrent enfin les entrailles de cette chose, mais ce qu’il y a à l’intérieur ne fait aucun sens. Pourquoi concevoir un objet avec une suite de décryptage, un petit disque swap, un transmetteur et une source d’énergie qui ne dure que quelques jours ? Il n’y a aucun disque de stockage qui pourrait contenir une quelconque quantité raisonnable d’informations. Il n’a pas non plus l’équipement nécessaire pour transmettre les informations ailleurs.

Je décide de l’allumer. Le cube se met à envoyer des signaux sur la même fréquence que j’ai l’habitude de voir sur mes affichages quand je suis près du caveau. Donc, ça, ça coïncide. Mais trop de choses ne correspondent toujours pas.

Je règle mon outil de diagnostic bricolé pour imiter les transmissions du caveau, ma chambre étant suffisamment éloignée pour que je sois certaine que le cube ne puisse pas atteindre le véritable caveau avec aussi peu de puissance. Les transmissions du cube commencent par passer en revue des accroches d’encodage. Il essaie bien de se connecter. Je choisis un protocole ancien et obscur pour mon leurre et j’attends. Presque deux heures de rien, puis cela se produit. Un pic soudain dans la communication entre le cube et mon imitation du transmetteur du caveau. Puis tout à coup, plus rien. Et mon équipement arrête de fonctionner.

Mon système a été totalement effacé. Je panique et j’éteins mon mobiGlas aussi vite que possible, en espérant que le programme de suppression n’a pas remonté le lien jusqu’à mon équipement bien plus précieux. Le témoin lumineux clignote trois fois puis s’éteint, tel un aveu de ce qu’il vient de se passer.

C’est une info-bombe ! Dirk ne veut pas voler quoi que ce soit du caveau. Il essaie de le détruire !

Mon esprit entre en ébullition. Pourquoi ferait-il ça ? Les informations dans ce caveau doivent avoir de la valeur, mais on ne peut pas vendre quelque chose que l’on a détruit. Et Dirk n’est bon que pour les menus larcins.

Je m’arrête et réfléchis sur ce que je sais à propos de Dirk et je réalise que ce ne sont que de vieilles informations. Pas aussi utiles ou complètes que je le voudrais. J’ai supposé que je savais ce qu’il veut.

En quoi devrais-je me préoccuper de ce qu’il veut ! Ceci est une attaque sur les Sœurs et ça sent mauvais.

* * *

Je ne dors pas. N’arrive pas à dormir. Je dois comprendre pourquoi Dirk voudrait effacer le caveau. Je dois rapporter ce cube à Dirk et cacher tout ça à S’per M’man. Je…

Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas apporter ça à la bibliothèque. Je ne peux pas trahir les Sœurs et S’per M’man. Je ne le ferai pas. Je trouverai un autre moyen de protéger les enfants. Ce sont des rats des rues, peut-être que les avertir suffira. Et si ce n’est pas le cas ?

Je dois entrer dans le système d’exploitation du cube et en apprendre plus. Ça pourrait me montrer ce qu’il se passe vraiment.

Le système d’exploitation se révèle être un labyrinthe. Cela devrait être un travail délicat et je l’entreprends avec une massue. Je n’ai pas le temps d’être plus précautionneuse. À chaque fois que je fais trop d’erreurs, il essaie d’effacer l’appareil auquel je l’ai connecté. Qui que soit son concepteur, il a utilisé une technologie de haut niveau et n’a pas lésiné sur les accessoires. Cher, tout ça. Plus que ce que Dirk peut s’acheter, c’est certain.

Je sais que je dois le rendre à Dirk et il aura un moyen de vérifier qu’il a accompli son travail. Je finis par trouver ce que je cherchais. Les registres de tout ce qu’il a fait, de toutes les tentatives de connexion et des signaux reçus depuis son activation. Je vois même l’entrée pour la suppression qu’il a effectué sur mon premier leurre. Toujours pas d’indice sur la raison de son existence ou sur son concepteur. J’édite les registres pour masquer mon intrusion. Puis je trouve une partition cachée avec d’autres registres. Puis je découvre un second système d’exploitation qui ne fonctionne que lorsque l’appareil n’est pas connecté à quoi que ce soit. Je le titille, parviens à le faire démarrer et je trouve toute une série d’autres registres et de double contrôles que je contourne ou modifie. Je travaille quarante-huit heures d’affilée à essayer de faire en sorte que Dirk ne puisse pas détecter ce que j’ai fait à laisser l’enregistrement de la fausse suppression du caveau intact.

Puis, juste avant que je ne lance mon dernier script pour dissimuler mes traces dans le logiciel, je décide d’opérer à nouveau un scan à pleine puissance sur les entrailles de l’objet pour vérifier ce qu’il y a à l’intérieur.

Et je trouve quelque chose d’autre. Après avoir passé un moment à le regarder, je détermine la seule chose que ça puisse être : une puce mémoire à écriture unique. Le genre qui ne vous permet d’inscrire une information qu’une seule fois avant qu’elle ne soit stockée de manière définitive.

S’il y a des enregistrements de ce que j’ai fait inscrits dessus avant que je puisse l’empêcher, alors je suis fichue, Dirk saura tout ce que j’ai fait et tout mon travail pour le falsifier n’aura servi à rien.

* * *

La mémoire à écriture unique par-dessus ma culpabilité, le manque de sommeil et un peu de désespoir me poussent à décider que je vais lui résister. Je dois lui dire que je ne ferai pas ça. Tant pis s’il découvre que j’ai utilisé son jouet. Je ne vais pas me laisser intimider par un voyou et ses gros bras. Je peux avertir les enfants et ils pourront prendre soin d’eux jusqu’à ce que je trouve une autre solution. Je suis sûre que les rumeurs ont circulé parmi les camps de rats qu’il fallait rester éloigné de Dirk.

Le trajet vers Bazaar Street semble différent. C’est peut-être le cube dans ma poche. Le rail me semble étouffant, mais je suis la seule à transpirer. J’ai un plan et une perspective. Il y a même une petite chance d’échappatoire. En sortant de la rame, l’a ir est froid. Les Sœurs et moi nous dirigeons vers Work Row.

Il y a encore des enfants qui attendent que l’école commence, même dans ce froid. Je note mentalement d’apporter des vestes et des unités de chauffage la semaine prochaine quand nous nous installerons.

Le fond de l’allée s’assombrit alors que trois hommes bloquent le passage. Je les reconnais immédiatement. Dirk et ses tas de muscles.

Les autres Sœurs me regardent. Pour elles, c’est encore mon territoire et elles ne doivent pas les reconnaître comme les hommes qui m’ont attaquée. Je leur dis de continuer à déballer et je vais faire face au trio seule, mais deux Sœurs me suivent. Au moins cette fois-ci j’ai du renfort à proximité et une sortie derrière moi.

Elles se postent derrière moi. Une ligne de soutien. Un jeton dans le jeu d’apparences auquel les pauvres jouent. Elles sont venues à mon aide et je les ai presque trahies avec l’invasion de cinq centimètres cube de Dirk.

Dirk les verrouille immédiatement. « J’dois parler à z’yeux verts seule. V’z’autres peuvent décaler. »

« Les tiens d’abord, » dis-je.

Dirk reporte son attention sur moi et hoche la tête. Les deux malfrats tournent le dos et repartent derrière le coin de la rue, l’un d’entre eux gardant un œil sur l’allée.

J’essaie mon meilleur sourire rassurant pour les Sœurs. Elles s’inclinent légèrement et retournent à leur occupation d’installer les enfants pour l’école un peu plus loin. Ma main attrape le cube dans ma poche. C’est comme tenir un pistolet chargé que je ne contrôle pas. Je ravale mes émotions et me redresse alors que je m’arrête devant eux.

Je fixe mon ancien chef du regard. « Je ne le ferai pas, Dirk. »

Tout est immobile et très dangereux pendant ce qui semble être des minutes.

« T’sais, j’pensa qu’t’étais maligne, z’yeux verts. Je m’trompa. L’rat v’payer pour ça. »

Je regarde par-dessus mon épaule vers les élèves. « Ce ne sont pas des rats. Ce sont des enfants. »

Je reporte mon attention sur Dirk et remarque à peine le pistolet choc avant qu’il ne tire. Mon corps convulse alors que je perds connaissance.

* * *

Je me réveille au son de pleurs et de quelqu’un en train de me secouer. Je finis par ouvrir les yeux et m’asseoir. La douleur qui parcourt mon corps est si intense que je vomis presque. Mes yeux s’adaptent à l’obscurité. Obscurité ? Le pistolet choc. J’ai dû être KO pendant des heures. Je vois deux Sœurs serrées l’une contre l’autre. L’une d’entre elles est la source des pleurs. L’autre la réconforte.

Je parcours du regard l’allée habituellement ordonnée et vois le chaos. Des vêtements et des morceaux de tissu. Des débris éparpillés.

Et du sang. Trop de sang. Je me regarde ainsi que les Sœurs à nouveau. Cela ne semble pas provenir de nous.

Je parviens à me remettre sur mes pieds sans retomber et je titube jusqu’à un empilement de caisses au milieu de la zone vide que nous utilisons normalement pour la classe. Une note s’y trouve.

« J’ai tes rats. Fais-le ou ils meurent. »

Oh mon Dieu.

C’est moi qui pleure à présent.

* * *

Le trajet retour sur le rail se passe dans la solitude de mon esprit, alors qu’il s’emplit de panique et de rage. Pourquoi est-ce que je n’ai pas simplement fait ce que Dirk m’avait demandé ? Le rail poursuit sa course, mais je souhaite silencieusement le faire accélérer.

Traverser les chauds couloirs du couvent au pas de course aurait dû me réconforter, mais cela ne fait que renforcer ma terreur quand je reconnais l’une d’entre nous se diriger dans la direction des appartements de S’per M’man. Probablement pour lui raconter ce qu’il s’est passé. Mais je n’ai pas le temps d’y penser, les menaces de Dirk sont réelles à présent. Il a plus changé que je ne le pensais.

Les autres me conduisent à ma chambre et au moins une reste derrière la porte alors que je titube à l’intérieur. Le son inhabituel de pas pressés se rapproche juste avant que S’per M’man ne déboule. Elle a le droit de faire ça dans l’ensemble du couvent, mais elle frappe à ma porte, d’habitude.

« Ma petite, est-ce que ça va ? On m’a dit que toi et les autres aviez été confrontées par un groupe de brutes. Que s’est-il passé ? Que voulaient-ils ? »

S’per M’man paniquée ? Je dois détourner ça, tout de suite.

« Les Sœurs me rapportent que les enfants ont été blessés ou emmenés par les mêmes hommes qui vous ont attaqué. Peux-tu expliquer cela ? »

« Des malfrats nous ont sauté dessus. Ils veulent qu’on ferme l’école. Il faut qu’on paye pour leur protection et ils nous laisseront tranquille. C’est tout. »

S’per M’man ne l’avale pas. « Je ne comprends pas comment tu peux rester aussi calme, ma petite. Ce n’est pas un vieux secret de circonstance que tu dois garder pour toi. Tu dois me dire ce qu’ils voulaient réellement. Les Sœurs ont presque été violentées à cause de toi. Cela fait de cela un problème pour l’ensemble de cet Ordre. Je ne peux pas croire que ces hommes veulent seulement extorquer de... »

« Je m’en occupe, d’accord ! Les gamins seront en sécurité. Ce sont juste des voyous. »

Je n’ai pas perdu les pédales comme ça depuis des années. S’per M’man peut voir le mur que je ne lui ai laissé jamais laissé franchir et l’accepte avec un regard sévère.

« Tu veux que je te croie sur parole sans explication alors que je devrais être en train d’appeler les autorités. Je suis en charge de la sécurité de cet Ordre et de ses membres. Et ces enfants ? Est-ce que tu fais ça pour les protéger à ton détriment ? »

Je répète. « Je m’en occupe. »

« J’ai une responsabilité que je ne peux ignorer. J’aurais déjà dû rapporter l’agression et le possible enlèvement. La police devra savoir tôt ou tard. »

« Si la police s’en mêle, ça sera un arrêt de mort pour ces gamins. Vous m’avez dit que vous vouliez que je vous aide à faire le pont entre vous et Bazaar Street parce que vous ne pouvez pas la comprendre et moi si. Je suis la seule qui puisse récupérer ces gamins. »

« Ai-je le choix, dans ce cas ? » Elle s’interrompt. « Je demande à être informée de la situation une fois que ça sera réglé. » S’per M’man me fixe pendant un moment suffisamment long pour être inconfortable puis quitte les lieux, en colère.

Merde, il fallait qu’elle parle de confiance ? Je sens le cube dans ma poche en train de me narguer. Je dois le faire. Va au diable, Dirk.

* * *

Je dois attendre quelques heures jusqu’à ce que tout le monde soit endormi. Les soupçons de S’per M’man signifient que je serai sous surveillance si j’essaie d’aller dans la bibliothèque tout de suite, et je ne peux laisser personne m’arrêter. Je m’allonge mais je ne parviens pas à me reposer. Les minutes me paraissent aussi longues que des heures, et ma peau me démange alors que l’attente se poursuit. Mon alarme se déclenche et je sors du lit, fébrile à l’idée de remplir ma tâche.

Les couloirs sont vides alors que je fais le trajet jusqu’à l’entrée de la bibliothèque. Je suis à moitié surprise lorsqu’elle s’ouvre pour me laisser passer. L’éclairage à l’intérieur est tamisé pour la nuit. Me frayant un chemin entre les étagères jusqu’au caveau, je ne vois personne et sursaute au moindre son.

Je sors le cube du sac dans lequel je le transporte et le place sur le bureau le plus proche du caveau.

Même au travers du brouillard induit par la douleur et la fatigue, j’immobilise mon doigt au-dessus du bouton juste avant de l’enfoncer. Je dois le faire. Pour les enfants. Je ne peux pas attendre, ou ils mourront. Je ferme les yeux.

« Pardonnez-moi, » dis-je. Comme les prières que les Sœurs récitent, mais pour moi-même plus qu’autre chose. Quelqu’un d’autre répond alors que je sens une main se refermer sur mon poignet.

« Te pardonner pour quoi ? »

À SUIVRE…

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