Au cœur du développement tumultueux de Star Citizen

Publié par Duboismarneus

Note de la Rédaction : Cet article est la traduction de celui posté sur Kotaku le 23 septembre 2016. Tout son contenu et les images estampillées Kotaku sont la propriété intellectuelle de Kotaku UK, tous droits réservés.

Pourquoi avoir choisi de traduire et présenter cet article de Kotaku en particulier ?

Nous entretenons tous beaucoup d’espoirs pour Star Citizen, pour ce projet que les équipes de CIG portent. Il nous a semblé essentiel de présenter un article dont le travail journalistique est à ce jour le plus fourni et le plus solide qui soit à son sujet. L’équipe de Kotaku a abattu un immense boulot, et un boulot plus que propre, afin que cet article explicatif soit le plus objectif possible, faisant thèse, antithèse, synthèse, présentant les arguments contre et les arguments pour, les choses reprochées à Roberts et CIG tout en faisant en sorte que ces derniers aient un droit de réponse. Même si sa taille rebute, essayez de prendre le temps de le lire en entier, anciens, nouveaux, et profanes ; tous pour comprendre qu’un tel projet n’est pas peu semé d’embûches, pour être conscients de ces problèmes (mais aussi des côtés positifs, des évolutions), et attester que la communauté de Star Citizen n’est pas égocentrée autour du jeu au point d’en oublier que CIG est une entreprise comme les autres.

Nous avons choisi, sur la série produite par Kotaku, de traiter celui-ci en particulier, puisqu’il est le plus représentatif et le plus complet au sujet du développement et de ses tracas, possédant le plus grand angle sur cette problématique substantifique à Star Citizen ; pourtant trop occultée/déformée par le manque d’informations, les raccourcis, les suppositions, les théories du complot, bref, les fanatismes de tout bords.

Faites-vous librement un avis en le lisant. Que cette mise en lumière plus que détaillée permette à tout un chacun de comprendre le plus critiquement possible les circonvolutions du projet, d’où il est parti, pour constater ce qu’il en est aujourd’hui.

Bonne lecture !

La rédaction <3

Sommaire :

Au cours des sept derniers mois, j’ai parlé avec les gens qui travaillent à la production de Star Citizen. Cela inclut ses directeurs, un certain nombre de sources anonymes qui ont travaillées dessus, et l’homme qui dirige l’intégralité du projet : Chris Roberts. De l’extérieur, Star Citizen semble avoir un succès sauvage ; à ce jour, il a permit de lever plus de 124 millions de dollars auprès des fans passionnés. L’argent a permit à son développeur, Cloud Imperium Games, d’ouvrir des studios à travers le monde, et d’employer plus de 325 développeurs talentueux.

Derrière les portes closes des studios de CIG, toutefois, ce fut tout sauf une sinécure, selon les dires de l’équipe. Ils eurent tous à affronter le même challenge : poser les bases d’un projet au budget et aux ambitions toujours croissantes. Star Citizen a été en développement depuis maintenant cinq ans, et durant cette période a souffert d’importants changements et de troubles au sein de l’équipe, d’importants reports, et, 18 mois plus tôt, d’une restructuration radicale de tous ses studios. CIG a mis à disposition plusieurs démos pendant ce temps, mais il n’y a toujours pas de date pour le jeu final, qui a été originellement prévu pour 2014.

Le développement de Star Citizen a été suffisamment médiatique, suffisamment cher, et, oui, suffisamment troublé pour faire apparaître un véritable écosystème de théories autour de ce qui se passait à Cloud Imperium Games, allant de discussions autour des ambitions techniques, jusqu’à de sauvages accusations envers ce qui arrivait à l’argent investi. Divers scandales communautaires ont ajouté un peu plus de bois sur le feu, transformant Star Citizen en paratonnerre de la controverse. Les question auxquelles j’ai voulu répondre sont celles-ci : que s’est-il exactement passé au cours des cinq dernières années ? Quelles sont les raisons derrières les divers reports de Star Citizen, et quels sont les problèmes particuliers qu’il a rencontré ? Les choses ont-elles été mal dirigées ? Et, comme beaucoup de donateurs de Star Citizen commencent à se le demander, peut-il être réellement fini ?

Obtenir ces informations n’a pas été chose aisée. Il y a une raison derrière le fait que beaucoup de sources dans les articles de ce genre soient habituellement anonymes : les gens craignent à la fois des répercussions légales et professionnelles pour avoir parlé. Au cours de mes démarches afin de contacter plus de 100 personnes différentes, tout en menant des recherches sur le développement de Star Citizen, plusieurs de mes sources ont exprimé des craintes de représailles légales s’ils parlaient à la presse. S’exprimer publiquement sur un ancien employeur présente un péril professionnel, également ; de futurs employeurs potentiels pourraient vous voir comme une embauche dangereuse. Néanmoins, au cours de l’année nous avons trouvé que de nombreuses personnes ayant travaillé pour Star Citizen désiraient parler de leur expérience, ce qui a brossé le tableau d’un processus de développement déchiré par les défis techniques, les attentes irréalistes, et les conflits internes.

L’autre côté de l’histoire, évidemment, nous a été racontée par l’actuelle équipe de Cloud Imperium Games : son directeur, Chris Robert, ses chefs de projet, et les développeurs qui ont survécus aux malaises qui en ont écarté d’autres. Au stade où CIG nous autorisa l’accès à Roberts et aux autres membres de l’équipe du studio de Manchester, nous avions déjà une image assez claire des problèmes qui ont jusqu’ici fait obstacle au projet. Roberts et son équipe n’ont nié aucun d’entre eux (bien qu’ils aient contesté l’importance de l’impact de ces problèmes). Mais malgré tout, la majorité de ceux de l’équipe à qui nous avons pu parler croyaient toujours passionnément en cet immense projet onirique en constante évolution. Beaucoup de ses donateurs y croient encore, également, bien que d’autres aient demandé (et majoritairement reçus) un remboursement.

Beaucoup de gens ont sermonné sur le futur de Star Citizen. Nous ne pouvons prétendre savoir comment il évoluera à l’avenir. Mais nous pouvons savoir comment il en est arrivé à aujourd’hui.

Des débuts modestes

Au début, Star Citizen n’était pas une idée à plus de 100 millions. Inspiré par le succès de Minecraft en 2011, qui est apparu sur la scène avec un prototype rudimentaire mais qui a généré assez d’argent de par les fans pour financer son développement toujours en cours, Chris Roberts a envisagé un jeu spatial qu’il pourrait monter en prototype avec une capacité modeste d’argent. Roberts était connu pour les jeux Wing Commander au cours des années 90, mais a été écarté de l’industrie vidéoludique depuis les alentours de 2003, après que son dernier jeu, Freelancer, ait été compromis par des difficultés de développement et un rachat d’éditeur.

Je regardais le modèle de Minecraft et je me disais, si je peux rassembler suffisamment d’argent de mon côté et via des investisseurs privés, je pourrais amener un jeu au stade d’Alpha. Puis je pourrais le rendre disponible et les gens pourraient payer pour y accéder, puis je pourrais l’améliorer au cours du temps” dit-il. “Je pensais que je pourrais peut-être faire quelque chose avec ces technologies que j’aurais aimé pouvoir faire quand je travaillais sur Freelancer. Ce que nous sommes en train de faire avec Star Citizen n’est pas bien différent de ce que j’avais prévu pour Freelancer en terme d’ambitions, d’échelle, et d’univers vivant. Il n’a juste jamais été fini.

Pour construire son prototype, il avait besoin de gens et d’un moteur de jeu.”Je n’avais pas envie de construire un jeu à partir de rien,” dit Roberts.”J’ai fait cela pour tous mes anciens jeux, mais ça prends juste du temps. Il peut avoir toutes ces fonctionnalités géniales, et peut-être sera-t-il 5% mieux que l’état actuel du moteur graphique, mais j’aurais perdu deux ans à le créer.”

À ce moment, en 2011, Roberts avait deux choix possibles et appropriés : l’Unreal Engine d’Epic Games, et le CryEngine de Crytek. L’Unreal Engine est l’un des moteurs les plus vieux et les plus utilisés dans l’industrie, et en 2011 l’Unreal Engine 4 était proche de la sortie. Crytek, d’un autre côté, avait sorti le CryEngine 3 en 2009, et le studio ne planifiait pas de nouvelle version avant quelques années. Le CryEngine a permis la création de magnifiques FPSs par Crytek, avec des environnements larges, ouverts, et richements détaillés à explorer, mais n’a pas souvent été adapté à d’autres genres.

Roberts pu mettre la main sur la version actuelle du CryEngine, et une version de test de l’Unreal Engine 4. “Je les aient testés et jugés tous les deux, et j’ai ultimement décidé de prendre le CryEngine parce que l’Unreal 4 était bien trop précoce. Il a toutes sortes de points forts et de flexibilités, et je m’en suis pas mal servi – mais à ce moment, ils étaient toujours en train de retravailler jusqu’à ses systèmes fondamentaux. Il avait encore du temps avant d’être à maturation, et le CryEngine était un petit peu plus stable.”

Choisir un moteur tout-prêt plutôt que d’en construire un à partir de rien signifiait qu’il pouvait théoriquement construire plus rapidement son prototype de jeu. Le choix de Roberts aura également des conséquences plus tard, cela dit, puisqu’avec l’agrandissement du projet, une importante quantité du CryEnfine dut être réécrite pour supporter les besoins spécifiques de Star Citizen. Mais nous en parlerons plus tard.

Tout en choisissant un moteur pour faire tourner son prototype, Roberts construisait une équipe qui l’aiderait à le développer. Ne sachant pas si le prototype serait un succès, il ne faisait aucun sens de créer un studio et engager une équipe pour les débuts. A la place, Roberts établi virtuellement le studio et, hormis pour quelques freelances, délégua le gros du travail à des contractuels tiers qui possédaient déjà une équipe de développeurs. Il contacta Sergio Rosas, son ancien directeur artistique dans les années 1990, qui conduit aujourd’hui une compagnie de sous-traitance appelée CGBot à Austin, au Texas. Il engagea également un studio nommé Behaviour pour créer les assets pour le prototype.

Alors que cette petite équipe commençait à travailler dessus, le projet attira l’attention de quelques personnes travaillant à Crytek, le développeur du moteur de jeu. Sean Tracey, Paul Reindell and Hannes Appell étaient tous des fans des Wing Commander, et donnèrent un coup de main où ils le pouvaient. Appell, par exemple, qui est maintenant le directeur des cinématiques sur Star Citizen, fit les vidéos de présentation du prototype pour les investisseurs, en utilisant les assets créées par Behaviour et CGBot.

Même en tant que prototype, Star Citizen était un jeu global. Chris, basé à LA, fut rejoint par des développeurs de San Franscico, Austin, Montréal et Mexico (avec un peu d’aide également de Crytek à Frankfurt). Cette configuration anticipée “me fit penser que, eh bien, peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un studio centralisé” me dit Roberts. “Peut-être que nous pouvions nous faire connaître un peu partout, et collaborer de différents endroits en allant là où le talent est.

Cette configuration, cela dit, fut le début d’une autre série de problèmes pendant le développement anticipé de Star Citizen : une diaspora de développeurs séparés par des océans entiers a forcément à affronter des challenges que des studios plus centralisés n’auraient pas. Dès le début, CIG utilisa des contractuels tiers, des studios éloignés, et de la collaboration virtuelle. Tous ces choix font sens lors du développement d’un prototype, mais alors que l’équipe, l’ambition, et le budget de Star Citizen augmentait, la structure du studio devait radicalement se réadapter.

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D’où venait l’argent ?

Si une chose a bien conduit une transformation de l’idée de Star Citizen d’un prototype modeste et visiblement faisable à un boss final des space-opéra, c’est l’argent. Avec des fonds en expansion viennent des ambitions en expansion – et avec Cloud Imperium Games travaillant indépendamment des éditeurs et des investisseurs d’entreprise, il n’y avait personne pour fixer de limites.

[Les investisseurs] c’était toujours “C’est pas mal, mais qui veut y jouer ? Je sais que vous avez vendu beaucoup de copies auparavant, mais c’était auparavant. Est-ce que ça intéresse quelqu’un maintenant ? Alors j’étais là, “si je peux lever un peu d’argent par financement participatif, cela prouvera qu’il y a une demande.” – Roberts

Roberts construisait son prototype pour faire une démonstration aux investisseurs potentiels à la GDC de cologne, en août 2012. Mais en février, une autre chose révolutionnaire arriva : le kickstarter de Double Fine Adventure. Kickstarter existait depuis un moment, mais c’est à cet instant qu’il attira l’attention de l’industrie du jeu vidéo. Le fondateur de Double fine, Tim Schafer, demanda 400.000 dollars pour faire un nouveau jeu d’aventure, et les obtint en 24 heures. Après 30 jours, la campagne avait rassemblé 3.3 millions.

Rapidement, une longue série de développeurs, anciens et nouveaux, commença à lancer des jeux sur Kickstarter, souvent avec l’argument qu’ils proposaient un genre de jeu que les éditeurs n’accepteraient pas. Brian Fargo rassembla 2.9 millions pour Wasteland 2, Planetary Annihilation leva 2.2 millions, et Shadowrun Returns, 1.8 millions.

J’avais initialement prévu de sortir et présenter la démo à des investisseurs pour lever un peu d’argent,” dit Roberts. “Mais c’est là que la Double Fin Adventure se lança. J’ai pensé “peut-être que si je peux faire un peu de financement participatif, je pourrais établir un peu de demande.

C’est à ce moment que Chris a amené un ami qu’il a rencontré dans l’industrie cinématographique, Ortwin Freyermuth, pour co-fonder Cloud Imperium Games et fournir des conseils légaux. Rejoint par la femme de Roberts, Sandi Gardiner, Ben Lesnick, et David Swofford, ces derniers détenant toujours des rôles clefs à Cloud Imperium, ils commencèrent à travailler sur la campagne. Gardiner était en charge du marketing ; Lesnick, qui était à la tête d’un Fansite sur Freelancer, prit en charge le développement de la communauté ; et Swofford, que Roberts avait rencontré pour la première fois du temps de Wing Commander, prit en charge les relations médias.

Ce groupe restreint prévu, me disait Roberts, de “faire une campagne de la même manière que serait préparé un lancement à l’E3”. Un site web fut fait pour susciter de l’intérêt ; Roberts voyagea autour du monde pour présenter le prototype de Star Citizen à la presse. En arrière-plan, Roberts avait une équipe construisant un site de financement participatif.

Au début il n’y avait pas de plan Kickstarter,” me disait Roberts.”Le problème que j’ai toujours constaté avec Kickstarter, c’est que vous construisez cette communauté qui devient galvanisée par le jeu, et ils deviennent engagés pour les 30 jours de la campagne…puis, Bam, c’est fini. Je devais construire mon propre site dans tous les cas, parce que Kickstarter n’était pas viable une fois la campagne initiale terminée…donc pourquoi ne pas construire un site au tout début qui pourra accueillir la communauté, où ils pourront avoir des forums et où nous pourrions communiquer avec eux ainsi que récolter les dons ?

Roberts dépensa 10.000$ dans la construction du premier site web Star Citizen.”Étant un développeur de logiciels typique de la vieille école, j’étais là ‘un site web, c’est facile bordel’ “rigolait Roberts. N’importe qui se rappelant de la présentation de Star Citizen se rappelle ce qui arriva ensuite.

Le 10 octobre 2012, sur la scène de la GDC, Chris Roberts annonçait Star Citizen. Toute la presse ayant vu le prototype publia ses previews, et celle qui ne l’avait pas vu écrivit ses propres articles sur le sujet. Une vague de fans intéressés déferla sur le site web de Star Citizen pour supporter le jeu et…”poof, il s’est effondré et a crashé,” se rappelle Roberts.

Ici vous pouvez voir le moment où Robert annonça, à la moitié de la conférence, que le site avait crashé à cause d’une sur-fréquentation :

La campagne avait clairement intéressé les gens, mais au début, à peine quelques personnes réussirent à effectuer leur donation. Après quelques semaines de réparations, le site fut à nouveau stable, mais les donateurs potentiels furent appelés pour une campagne séparée sur Kickstarter, dont la plateforme était bien plus robuste et familière que la solution faite-maison de CIG.

L’équipe capitula. Voici la vidéo-phare, présentant ce à quoi ressemblait le jeu au tout début :

Quand Roberts débuta il avait un objectif relativement (considérant le budget actuel de Star Citizen) modeste. “Notre objectif était d’atteindre 2 millions environ,” me disait-il.”Mais avant d’avoir le Kickstarter, nous avions déjà levé près de 1 million sur notre site”. En se basant sur cette dynamique, l’équipe décida de viser un objectif plus petit sur Kickstarter : 500.000$. Il fut lancé le 18 octobre et après 30 jours, les donateurs de Kickstarter avait apporté 2.134.374$. Sur le site de Roberts, ils avaient donné un supplémentaire 4.1 millions.

Les investisseurs que Roberts espérait attirer avec un petit succès kickstarter et un prototype simpliste ? Il n’en avait plus besoin désormais.

“Je pense que c’est pour le mieux….pas pour eux, mais pour le projet,” me disait Roberts. “Sans investisseurs privés,” il explique, “il n’y a pas de ‘j’ai besoin d’un retour sur investissement, j’ai besoin que vous sortiez le jeu afin que de pouvoir le vendre aux intéressés’ ou ‘On a besoin que vous vendiez à EA ou à quelqu’un’.”

D’une certaine manière, toutefois, Star Citizen a un bon nombre d’investisseurs privés. Près de 1.500.000, au moment de l’écriture de cet article. Il ne s’attendent peut-être pas à faire de l’argent, mais ils attendent un jeu.

Après une année de travail, Roberts avait une équipe solide, un moteur de jeu, un prototype, 6.2 millions de dollars, une communauté engagée, la vision d’un jeu spatial qu’il avait toujours rêvé de faire, et la liberté de le créer sans les investisseurs privés ou les éditeurs qui avanceraient l’argent. C’était voilà presque quatre ans, et alors que la campagne kickstarter ferma, celle sur le site de CIG continua. Grâce aux paliers continuels et à une interaction régulière avec la communauté, les dons pour Star Citizen ne montrèrent aucun signe d’affaiblissement. En novembre 2014, le développeur avait levé plus de 65 millions – un chiffre ahurissant.

“Les paliers commençaient à réellement devenir terrifiants. J’étais là ‘quand est-ce que ça va s’arrêter ? On ne fait qu’ajouter encore, et encore et encore et encore et encore”. – Paul Jones

A ce moment-là, Roberts dit qu’il “ne voulait pas continuer à faire des paliers, parce que tu ne fais ne fait que rajouter des choses qui ne sont pas réellement le coeur de ce que tu veux proposer”. Ce n’était pas juste Roberts qui voulait l’arrêt des paliers, tel que Paul Jones (Le directeur artistique du studio anglais de CIG) me le présenta. “On est arrivé à ce moment, alors que l’argent continuait d’augmenter, et que la compagnie continuait avec sa politique de paliers – et ces paliers commençaient vraiment à devenir, de mon point de vue, un peu effrayants”, dit-il.”J’étais là ‘quand est-ce que ça va s’arrêter? On continue d’ajouter encore, et encore et encore et encore et encore’.

“Heureusement, on est arrivé au point où tout ça s’est arrêté et qu’on a pu se dire, ouais, c’est suffisant, maintenant. On doit commencer à faire fonctionner tout ça.”

Plus tard en 2014, CIG commença à vendre des concepts de vaisseaux pour rassembler plus de fonds. Ces vaisseaux n’existaient pas encore, mais une fois ajoutés au jeu à l’avenir, les joueurs l’ayant précommandé avec de l’argent se le verraient délivrer dans leur hangar. Les prix varient follement, vous pouvez obtenir un petit chasseur pour 15 Livres (NDT : 16,8 euros) ; mais dans le passé, des vaisseaux ont été vendus jusqu’à 1900 Livres (NDT : 2134 euros). Cela s’est révélé un des sujets les plus controversés parmi la communauté de Star Citizen, dont beaucoup se demandaient pourquoi CIG passait du temps et demandait de l’argent dans le développement de ces vaisseaux pour un jeu qui n’existait pas encore.

CIG a, cependant, sorti une série de modules qui montrent des morceaux de jeu en action. Il y a un module hangar, qui permet aux joueurs de se balader autour de modèles 3D de leurs vaisseaux (du moins, ceux qui ont été modélisés pour le moment) ; l’Arena Commander, un module multijoueur de combat spatial ; et une version anticipée de l’Univers Persistant, dans lequel vous pouvez voler sur des vaisseaux en multi-équipage, prendre part à des missions, et utiliser des magasins en jeu. Ces modules ne sont pas Star Citizen, cependant. Ils en sont des bouts ; vous ne pouvez pas les coller ensemble et dire, hey, c’est un jeu. Mais chacun d’eux a fait rentrer plus d’argent.

À ce jour, Star Citizen a levé près de 124 millions. C’est beaucoup d’argent – mais quand vous prenez conscience de l’ampleur de l’expansion de Cloud Imperium Games, il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’il aurait pu devenir.

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L’histoire de deux studios…attendez, non, trois. Cinq, en fait.

Suite à l’immense succès obtenu après tous ces efforts sur le financement participatif, CIG a rapidement grandi sur la base de son équipe en télétravail et ses prestataires. Aujourd’hui elle a ses propres studios à Austin, Santa Monica, Hollywood Ouest, Manchester, et Francfort. Bien que cela ait permis à CIG d’embaucher des employés talentueux dans le monde entier, cela a également été l’origine de difficultés significatives dans le développement. Chaque studio distinct a eu à surmonter la problématique de la création de sa propre culture d’entreprise, et concernant le fait de travailler tous ensemble ? Ce fut une plus grosse prise de tête encore.

“Austin a été le premier studio”, expliquait une source. “Mais quand Chris est parti pour Santa Monica et a ouvert le studio de Santa Monica (en Avril 2013) c’est devenu la maison-mère. Les relations entre les studio ont tellement changé et si vite. Au début Austin était la colonne vertébrale ; ils étaient le studio des développeurs qui réalisaient le gros du travail alors que le studio de LA réalisaient la modélisation 3D (de base), le travail graphique, et la production.”

Le plan original, m’a dit Roberts, était d’avoir une plus grande équipe à Austin. C’est là qu’il avait réalisé Wing Commander et fondé son précédent studio, Digital Anvil, donc il connaissait bien l’endroit et le genre de talents qui se concentraient là bas, et il croyait que ses dollars lui permettrait d’aller plus loin. Le problème est que durant la décennie pendant laquelle Roberts s’est tenu éloigné du développement de jeux vidéos, plusieurs studios de développement majeurs se sont eux-même établis à Austin : Bioware, Arkane, Blizzard, NCSoft, et Sony Online Entertainment (aujourd’hui Daybreak). “Les gens n’y sont pas moins chers qu’à LA.” a expliqué Roberts. Les coûts en furent élevés.

“Est-ce que cela a du sens de faire d’Austin une zone majeure de programmation du gameplay alors que vous pouviez diffuser des offres d’emplois pendant un an et pourtant ne trouver personne avec de l’expérience sur le CryEngine ?” – Tony Zurovec

Roberts avait également choisi d’utiliser le CryEngine comme moteur de base pour Star Citizen, mais ce n’est que depuis cinq ans que des gens ont commencé à utiliser ce moteur pour créer des jeux en dehors de Crytek. Donc trouver des gens qui maîtrisaient bien cette technologie est devenu un véritable challenge. Tony Zurovec, qui est le directeur de l’univers persistant pour CIG et qui est basé au studio d’Austin, a expliqué les implications : “Est-ce que cela a du sens de faire d’Austin une zone majeure de programmation du gameplay alors que vous pouviez diffuser des offres d’emplois pendant un an et pourtant ne trouver personne avec de l’expérience sur le CryEngine ?”.

Parce qu’ils ne pouvaient trouver les bonnes personnes à embaucher, CIG a dû se reposer encore plus lourdement sur des studios prestataires. A un moment, m’a dit Zurovec, Behaviour (le studio de Montréal qui a aidé à créer le prototype) avait 50 personnes travaillant sur Star Citizen. Roberts a également contracté la compagnie Illfonic basée à Denver pour qu’ils réalisent la partie fps du jeu, appelée Star Marine. L’I.A. de Star Citizen était également prise en main par une autre société encore, appelée Moon Collider.

Ce travail de prestataires compensait le manque d’effectifs de CIG, mais ce ne pouvait être une solution sur le long terme. “En général,” Expliquait Zurovec, “c’est une bonne chose d’avoir tout le monde tourné dans la même direction et c’est beaucoup plus facile à obtenir quand vous êtes tous dans la même entreprise. A chaque fois que vous déléguez du travail à des prestataires, c’est plus difficile de partager votre vision sur le long terme avec ces gens.”

Donc, en 2013, Roberts avait deux studios, de multiples prestataires, et trois studios externes travaillant sur un jeu déjà ambitieux qui allait devenir encore plus complexe, et il n’avait ni les employés ni l’expertise pour le développer. En Août, cependant, après la livraison du module Hangar, il y avait suffisamment d’argent en caisse pour que Roberts puisse lancer un nouveau studio quelque part où il y avait plus d’employés potentiels et moins coûteux. Il choisit Wilmslow, juste à côté de Manchester. Cela semble être un choix étrange, mais il y avait quelqu’un là bas avec qui Roberts avait travaillé tout au long de sa carrière dans les jeux vidéos : Son frère, Erin.

Erin avait fait ses débuts en travaillant avec son frère à Origin Systems, et avait déménagé avec lui en `96 pour Digital Anvil. Contrairement à Chris, Erin est resté dans l’industrie des jeux vidéos et a dirigé des studios avec des centaines d’employés. En 2013 il était directeur du studio TT Fusion, un des studios qui créent les jeux Lego. Quand Chris revint de la Gamescom en août, 2013, motivé par le lancement récent du module Hangar et soutenu par de nouveaux fonds participatifs, il demanda à Erin de fonder et diriger un studio au Royaume Uni dédié au développement de Squadron 42, la campagne solo de Star Citizen. Erin accepta, donna sa démission, et en Décembre, lui et quelques ex-membres de son équipe principale chez TT Fusion s’installèrent dans un petit bureau dans la maison d’Erin. Dès Janvier 2014 ils avaient déménagé dans des bureaux à Wilmslow, et commencèrent à grandir rapidement.

“[Sans investisseurs] il n’y a pas de ‘J’ai besoin d’un retour sur investissement, j’ai besoin que vous sortiez [le jeu] pour que je puisse revendre mes parts de votre entreprise’ ou ‘Nous voulons que vous vendiez à Electronic Art’” – Roberts

Il est rapidement devenu évident que l’Angleterre avait des avantages comparé à Austin et LA. C’était moins cher d’embaucher des gens là-bas alors qu’ils n’étaient pas moins compétents.  Aujourd’hui le studio dispose de plus de 180 employés, mais les 30 premiers à peu près sont largement issus du précédent studio d’Erin. C’était un groupe central de développeurs qui avaient tous travaillé ensembles avant et avaient leur propre façon de travailler.

Cette efficacité a créé ses propres problèmes, néanmoins.

“Il a commencé à devenir clair que les dates butoires n’allaient pas être respectées par les autres studios,” m’a dit une source au studio de Manchester. “Par exemple, la démo multijoueur de la PAX Est en 2014. Si vous vous rappelez la diffusion en direct… toutes les diffusions en direct de CIG étaient des catastrophes, mais celle-ci était un évènement majeur qui devait présenter le multijoueur au public et ça n’a pas du tout marché. C’est parce que [l’équipe de LA] n’avait pas réussi à respecter les délais de livraison pour les fonctions multijoueur. Ils étaient encore en train de patcher le jeu sur la scène dix minutes avant de le montrer; bien entendu ça n’a pas fonctionné.”

“Quand il est devenu clair que certaines délais de livraison ne seraient pas respectés, [les autres studios] ont en quelques sortes commencé à emprunter une paire de nos employés pour quelques semaines. Une paire est devenu quelques un de plus pour quelques semaines de plus, et encore quelques un, et ce phénomène a commencé à s’amplifier.”

Et puis, le 21 Avril 2014, quelque chose d’étrange est arrivé: Crytek n’a pas réglé intégralement leurs paie à ses employés. La même chose est arrivée en Mai, puis en Juin. La société avait un problème de liquidités qui avait touché tous ses studios et incité ses employés à partir. Pour CIG, ça a été une délivrance : Tout à coup, après 18 mois à lutter pour trouver le moindre employé compétent avec le moteur CryEngine, ils ont eu la possibilité d’embaucher des gens avec une décennie d’expérience sur ce moteur, directement depuis Crytek UK.

Toutefois, cet afflux de talents qualifiés a également impliqué que l’équipe anglaise a commencé à récupérer de plus en plus de travail des studios américains. Et bientôt, d’autres  projets entiers étaient gérés par le studio sois disant dédié au jeu solo.

“On avait des vétérans de Crytek avec une décennie d’expérience. Ils connaissaient le moteur sous toutes ses coutures,” m’a dit une source. “Et parce qu’on créait un jeu solo, on s’est retrouvés à travailler avec l’équipe en charge de l’I.A. un peu plus, ce qui a signifié que l’on a commencé à prendre en charge l’I.A.. Ce qui a impliqué  que notre studio était l’endroit où on connaissait l’I.A et le moteur de jeu.”.

Vanduul Swarm – essentiellement un mode “horde” pour montrer le dogfight de Star Citizen – avait été sous l’égide du studio LA, mais comme tant d’autres parties, c’est devenu un projet de Foundry 42, augmentant la charge de travail du studio anglais.

Une autre source du côté anglais m’a dit que “beaucoup de choses ont commencé à arriver en provenance des autres studios que nos directeurs artistiques examinaient puis disaient ‘C’est pas assez bon’. Puis ils le re-prenaient, le re-travaillaient, et le faisaient fonctionner et à la fin ça avait une gueule phénoménale. Evidemment, ça a impliqué que le département artistique avait moins de temps pour son propre travail, [parce qu’il avait à] constamment corriger des choses  issues des autres studios. Ca a continué comme ça jusqu’au point où l’ensemble du pipeline de production de vaisseaux, à l’exception d’une paire de petits projets que quelqu’un à LA ne voulait pas abandonner, a terminé à Foundry 42 parce que nous étions ‘ceux qui ont expérimenté et savent comment ça marche’. Ca a retiré beaucoup de ressources normalement dédiées au jeu solo.”

“Si vous demandez à des gens de travailler constamment 60-, 70-, 80-heures par semaine, sans date de fin en vue, ça va avoir une influence négative sur leurs relations personnelles et leur vie privée.” – Une source chez CIG

L’équipe artistique a commencé à sentir le poids de tout ce travail. “Ces gars travaillaient vraiment dur pour atteindre un but qui était basiquement impossible à atteindre,” détaille une source. “Si vous demandez à des gens de travailler constamment 60-, 70-, 80-heures par semaine, sans date de fin en vue, ça va avoir une influence négative sur leurs relations personnelles et leur vie privée. En retour ça va commencer à faire augmenter le turnover.”

L’équipe anglaise en charge des personnages, qui était composée d’un chef de projet et de deux artistes, ont ainsi donné leur démission après trois mois, entre Mars et Juin 2015. “Ils étaient tous déprimés,” m’a dit une autre source.

“Honnêtement, je ne connais personne qui bosse [ce nombre d’heures] ici,” a répondu Chris Robert. “Je ne veux pas d’une culture de crise, on ne fait pas ça. […] On est rarement dans une situation de crise où l’on fait des heures supplémentaires. C’est principalement si on va aller à la Gamescom. Même ainsi vous pourriez passer tard et seules certaines personnes  spécifiques seraient encore là si elles ont quelque chose à corriger.”

Quand j’ai demandé à Roberts et au directeur artistique Paul Jones à propos du départ de l’équipe artistique, ils ont donné d’autres raisons pour leur démission – plus en relation avec des conflits de personnalités que les heures de travail.

“On ne peut pas se permettre de tolérer l’individualisme,” affirme Roberts. “Dans une petite équipe, peut être pouvez-vous avoir ce génie qui reste dans son coin parce qu’ils ne font que ce qu’ils ont à faire et c’est tout. Dans une équipe de notre échelle, il n’y a aucun aspect du projet où vous travaillerez uniquement par vous même, vous devez être capable de vous ajuster aux autres… ce que vous voulez c’est des gens qui sont positifs, prêts à le faire, et veulent travailler en équipe, et non pas toujours en train de dire ‘ça peut pas marcher’ ou ‘moi je..’.”

“C’est dur,” M’explique le directeur artistique de Foundry 42, Paul Jones, à propos du challenge de créer une équipe qui travaille en groupe. “Vous devez trouver vos chefs de projets, vous devez trouver vos meneurs. Une fois que vous avez fait le tour de votre liste de relations ou des gens que vous pouvez contacter, vous ramenez des gens que vous ne connaissez pas et vous travaillez à partir de C.V ou de recommandations. […] Quand vous montez une entreprise, c’est l’un de vos plus grands challenges, trouver les bonnes personnes et dénicher les bon gestionnaires qui sont capables de monter une équipe. C’est pas juste en ajoutant de l’eau que vous obtenez une plante. Vous devez être capable d’en prendre soin et surmonter les coups durs.”

“C’est un gros projet et de nombreux conflits de personnalités arrivent entre employés, pas toujours avec moi,” explique Roberts. “Une de nos grandes difficultés est de nous assurer d’obtenir la bonne alchimie entre nos employés et que tout le monde travaille ensemble en équipe. C’est quelque chose que vous devez renforcer constamment. C’est comme éduquer des enfants et devoir leur expliquer qu’ils doivent dire ‘Merci’ ou ‘S’il-vous-plaît’. Juste pour faire en sorte qu’ils se comportent comme vous aimeriez qu’une bonne personne se comporte. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de parfaire cette alchimie, ce qui a débouché sur quelques départs et conflits, et nous avons également passé beaucoup de temps à mettre en place une structure qui l’améliore et l’encourage.”

Bien que ces conflits culturels et altercations croissantes ne pouvaient pas forcément être évités, les retards qu’ils ont causé ne pouvaient pas non plus être ignorés. Quand l’équipe des personnages est partie, par exemple, “ça a tout simplement mis en pause les personnages,” explique Jones. “des gens qui n’étaient pas dédiés aux personnages s’en sont généreusement occupé et ont permis de faire progresser certains domaines de façon à ce que ça ne soit pas totalement arrêté, et ont aidé à écrire de nouveaux shaders afin que l’on puisse atteindre la qualité que Chris désirait. On a carrément avancé comme des escargots pendant longtemps.  C’est sûr que ça a été une période difficile.”

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Le problème avec les prestataires.

En dehors des propres studios de Cloud Imperium Games, il y avait également des problèmes significatifs avec les studios prestataires dont CIG dépendait, venant largement d’un manque de communication et de gestion. Cela veut dire que des erreurs restaient non vérifiées et que le développement pouvait progresser dans la mauvaise direction durant des mois, nécessitant des mois supplémentaires de corrections chronophages. C’était une expérience très frustrante pour certains des développeurs travaillant dans ces studios externes, qui ont partagé leur expérience avec moi.

En 2013 CIG a signé un contrat avec Illfonic, un studio tierce en partie basé à Denver, pour construire le module Star Marine et les systèmes à la première-personne nécessaires pour Star Citizen. Star Marine devait être une “tranche verticale” (cad. une démonstration) du FPS multijoueur de Star Citizen. A la façon du Arena Commander, ce devait être avant tout un mini-jeu multijoueur – quelque chose avec lequel les donateurs pourraient jouer pour se faire une idée de ce que CIG préparait pour le jeu final. Pour CIG, le module devait servir de banc d’essai pour leurs idées pour le jeu à la première personne.

La première livraison de Star Marine devait se concentrer sur une simple carte, Gold Horizon. C’était une base pirate dans l’espace profond pour laquelle deux équipes s’affrontaient.

Le plan était de construire des vaisseaux et des intérieurs de stations à partir de kits d’environnement. Pour que cela fonctionne, a expliqué une source, “vous devez avoir les même pièces assemblables pour tous les styles d’environnements différents. Toutes les portes standard, par exemple, qu’elles soient prévues pour une base lunaire ou une base martienne, doivent partager les même dimensions. Si vous concevez un nouvel environnement et de nouvelles ressources 3D pour aller avec alors vous devez les créer selon le standard, comme des pièces modulaires afin que les autres environnements du même style puissent être assemblés rapidement sans nécessiter des ressources faites sur mesure.”

CIG voulait utiliser les éléments environnementaux créés par Illfonic pour sa station spatiale Gold Horizon comme kit environnemental. Mais quand CIG essaya d’intégrer ces éléments dans leurs niveaux, ils découvrirent qu’aucun élément ne fonctionnait avec leur système modulaire; Ils avaient tous été fabriqués à la mauvaise échelle. Une source m’a dit qu’après que le studio ait travaillé sur la carte Gold Horizon durant plus d’un an, CIG a demandé aux artistes d’Illfonic de tout refaire avec un nouveau référentiel de mesures afin de satisfaire les besoins de l’équipe de Squadron 42. “ça a été vraiment déprimant pour les artistes,” m’a dit ma source.

“Je suis toujours très perplexe à ce sujet,” répond Roberts, quand on lui demande comment une telle divergence a pu arriver. “Nous avons rassemblé tout le monde et avons conduit une réunion d’information artistique générale à Austin en 2013. Je croyais que nous étions tous sur la même page mais j’imagine qu’à un moment donné ça n’a pas été le cas, parce que j’ai commencé à entendre des retours des gars de l’équipe environnementale comme quoi ‘ce truc n’est pas adapté à ce que nous faisons.’ La communication était mauvaise, mais c’était aussi un problème lié au fait qu’il n’y avait pas de référent unique en charge de tout ça.”

En résumé, personne n’était en position de repérer les déviations avant qu’elles ne deviennent critiques. Cela a gaspillé des mois de travail et nécessité plus de mois pour corriger le problème. Illfonic a travaillé sur Star Marine pendant près de deux ans, mais à cause des problèmes de production comme celui évoqué ci-dessus, rien de ce sur quoi ils ont travaillé n’a été livré, et beaucoup de ce qu’ils ont créé a été réécrit par CIG.

On ne peut pas permettre l’individualisme… vous voulez des gens positifs, qui peuvent le faire, et veulent travailler en équipe, plutôt que de suivre constamment la voie du ‘ça ne marchera pas’ ou ‘moi je’. – Roberts

Selon Roberts, ces problèmes sont largement dépassés. Avec l’ouverture d’un studio à Francfort en 2014, composé d’un groupe d’anciens développeurs de Crytek agacés de ne pas être payés à temps, CIG a finalement eu les ressources et les talents pour ramener tout le développement de Star Citizen en interne. C’était la dernière extension majeure de Cloud Imperium Games – pour l’instant.

“C’est vers cette période l’an dernier que j’ai ressenti que nous avions atteint une masse critique suffisante en terme de taille de l’équipe,” rapporte Roberts. “Nous sous-traitions  auparavant pour compléter tout ce que nous essayons de faire. […] Une fois que nous avons eu nos studios, que leurs processus de production ont été définis et que nous avons eu de bon directeurs, la sous-traitance a été de moins en moins utile. Nous avons migré le travail externalisé en interne à mesure que nous avons commencé à avoir les ressources pour le réaliser.”

Essayer de créer un jeu ambitieux tout en intégrant des centaines de développeurs, dont la plupart n’ont jamais travaillé ensemble avant, dans des équipes distinctes, serait déjà extrêmement difficile en toutes circonstances. N’importe quel nouveau studio de jeux vidéos prendra du temps pour trouver son rythme et mettre en place des habitudes de travail communes. Mais CIG faisait cela en public, financés par plus d’un million de personnes. Même si la croissance douloureuse de Star Citizen est bien du passé, l’impact ne peut être effacé.  

Les jeunes studios étaient loin de travailler au mieux de leurs capacités, et la communication était, franchement, déficiente, menant à des délais dans le développement et créant de la frustration au sein du personnel de CIG. Les problèmes du personnel, de production, de gestion, ont affecté la vie des développeurs dans tous les studios de CIG durant cette période.

Et bien sûr, tout cela a gaspillé énormément de temps. Et en développement de jeux, le temps c’est de l’argent.

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Dispersion.

Le jeu Star Citizen décrit dans la campagne Kickstarter de 2012 est très différent du jeu aujourd’hui en développement. L’objectif initial était principalement de financer le développement d’une campagne solo, avec les fonctionnalités de l’univers vivant de Star Citizen proposées à côté au travers d’objectifs de financement. Mais CIG a décidé de ne pas achever en premier la campagne solo et ajouter les composants du multijoueur massif plus tard ; au lieu de ça, le studio réalise les deux en parallèle.

En plus de travailler en même temps sur Squadron 42 (la campagne solo promise) et l’univers persistant en expansion, CIG continue de travailler sur les différents modules qui ont jusqu’ici été mis en ligne en apportant des corrections et du nouveau contenu. (Vous pouvez vous renseigner plus en profondeur sur chaque module de Star Citizen sur le site du créateur, mais il s’agît essentiellement de démos des fonctionnalités clés de Star Citizen ; le module d’Arena Commander, par exemple, est un jeu d’arcade multijoueur qui introduit les combats spatiaux.)

Plusieurs sources m’ont expliqué que ce style de développement était une erreur : il disperse les équipes et les ressources, cela oblige CIG à constamment sortir différentes mises à jours tout en poursuivant son travail sur le reste du jeu.

“Une personne sage dirait qu’on a récolté de l’argent pour une simulation spatiale [Squadron 42] et qu’on a de grandes idées pour une composante multi à la première et à la troisième personne”, me fit remarquer une source. “Utilisons l’argent reçu par le financement participatif et créons la partie simu spatiale. En se servant de cette gigantesque et superbe équipe, on se concentre sur les différentes caractéristiques. On génère des profits avec cette partie et ensuite on passe à la seconde composante.”

“Vous pouvez résoudre ces problèmes un par un, mais quand tout le monde essaie de régler tous les problèmes en même temps, vous ne ferez rien d’autre que de gaspiller de l’argent et rencontrer d’importantes limitations techniques, qui nécessiteront d’autres personnes pour les résoudre. Les problèmes sont survenus dès le départ. Ce n’est tout simplement pas sage d’essayer de tout faire en même temps.”

Travailler sur autant de systèmes simultanément eu pour conséquence de disperser les ingénieurs de CIG. Au sein du studio, il y avait des développeurs qui ne pouvaient pas progresser sur leur partie parce que la technologie sous-jacente dont ils avaient besoin n’était pas terminée. Tout le monde avait besoin de solliciter les ingénieurs, et ils étaient en nombre insuffisant pour répondre à la demande.

“On avait besoin de toute cette technologie pour faire fonctionner le solo, mais les deux tiers des ingénieurs de toute l’entreprises avaient pour mission de mettre en ligne l’univers persistant”, se rappelle une source. “Ce qui, en soit, est un travail colossal. Faire fonctionner toute l’infrastructure côté serveurs, faire fonctionner les outils de support, et créer une plateforme pour supporter le jeu… il y a une raison pour laquelle Blizzard a mis autant de temps à mettre sur pieds World of Warcraft, et il y a une autre raison pour laquelle cela lui a pris cinq ou six ans de plus pour comprendre comment World of Warcraft devrait vraiment fonctionner.”

Les problèmes sont survenus dès le départ. Ce n’est tout simplement pas sage d’essayer de tout faire en même temps. – Source CIG

Ce laps de temps nécessaire pour développer la technologie a causé des problèmes à l’équipe britannique travaillant sur la partie solo de Star Citizen, Squadron 42. “On s’est heurté à un mur technologique avec la campagne solo”, m’expliqua une source. “Si vous partez d’un moteur qui possède le netcode et les supports de connexion pour faire le lien entre plusieurs utilisateurs, vous pouvez commencer à prototyper un jeu multijoueur assez rapidement et facilement, avec simplement quelques cubes de couleurs différentes. Le solo [est différent], vous devez réfléchir au rythme des actions, où vous voulez qu’elles aient lieu, comment l’intrigue sera amenée avec ces actions, comment vous allez le mettre en avant et comment tout ça sera mis assemblé. Sans technologie pour servir de support, cela devient très difficile de prototyper quoi que ce soit.” L’équipe en charge de la conception “s’est vraisemblablement heurté à un mur technologique et n’allait pas pouvoir progresser avant un moment.”

“Je dirais que parmis tous les membres de notre équipe, les plus frustrés étaient les concepteurs parce que c’était eux qui se sentaient pieds et poings liés jusqu’à ce que les ingénieurs ne leur donne des outils”, dit Roberts, en évoquant ce problème. “Les ingénieurs travaillent pour fournir des outils, bien sûr, le génie informatique inclut la plus grande part de recherche et développement et constitue [le département] le plus imprévisible.” Roberts me raconte qu’il est plus facile de respecter le calendrier avec l’art ou la conception, le travail d’ingénierie pouvant souvent être retardé sans que l’on s’y attende, par exemple à cause de bugs qui ralentissent toute la machine. “Il y a des cas où les concepteurs progressent, mais ils attendent qu’on leur ponde un système pour terminer leur travail.”

“C’est aussi pour ça que le génie informatique est l’un de nos plus gros départements, et que l’on recrute constamment. On a eu beau s’agrandir, on recrute plus lentement que ce que l’on prévoit. Ce n’est pas volontaire, c’est juste parce que c’est difficile de trouver de bonnes personnes qui conviendraient.”

Cette pénurie d’ingénieurs en 2013 et 2014 lança une spirale infernale. “Ce qui finit par arriver, c’est qu’un studio commençait à travailler sur de petits composants pour vérifier s’ils voulaient poursuivre dans cette direction”, expliqua une source. “Lorsqu’une équipe pouvait prouver qu’un composant particulier était vraiment chouette, on l’intégrait au programme et une équipe était constituée pour s’en occuper, éparpillant un peu plus les équipes.” Cela a encouragé une culture dans laquelle les studios se “rivalisaient pour le pouvoir”, me confia la source. Ils partaient du principe que ‘Si Chris prête plus d’attention au studio, on aura plus de pouvoir”.

“Il y a un an, on comptait bien moins d’employés, on avait moins de capacités et on était donc complètement dispersés”, admet Roberts. “Nous sommes toujours en sous-effectif pour ce que nous avons à faire du côté du génie informatique, d’où le fait d’avoir publié des offres d’emplois. À l’époque c’était pire. Pour avoir assez de personne pour travailler sur le multi en ligne ou la campagne solo, vous deviez déshabiller Pierre pour habiller Paul : vous n’aviez pas l’équipe au complet. Maintenant [nous] avons une équipe bien plus grande, donc on la gère pour progresser sur l’aspect MMO de Star Citizen, mais également sur Squadron 42 et les modules en ligne. L’an dernier, c’était beaucoup plus dur.”

La course n’est pas encore terminée. Attendez que la ligne d’arrivée soit franchie, et enfin j’autoriserai les gens à juger si c’était la bonne façon de faire ou la mauvaise. – Roberts

Roberts pointe un autre problème dans la citation précédente : la pression accrue qu’exerce la diffusion d’une mise à jour (ou, dans le cas présent, de plusieurs) en même temps qu’ils  essaient de développer un jeu cohérent.

“Les demandes pour la version en ligne monopolisent certains des plus talentueux développeurs pour subvenir à [ses] besoins”, me raconta Roberts. “Si vous additionnez les jours que cela prend aux [ingénieurs] pour accomplir des tâches qu’on leur a confié, ils ne sont généralement pas si en retard que ça. Le gros point incertain, c’est le temps qu’ils passent le nez rivé sur la correction d’un bug qui bloque la mise à jour suivante.”

Il y a des avantages dans la méthode qu’a choisie CIG, d’après certains développeurs de Star Citizen. Tout le travail que CIG abat pour réaliser les modules est fait avec une base de code partagée, donc n’importe quel apport du génie informatique pour créer une fonctionnalité pour les modules est accessible à tous les développeurs qui travaillent sur le jeu, m’a expliqué Erin Roberts. L’équipe d’un studio peut se servir du travail réalisé par une autre équipe, ce qui rend impossible que deux artistes, deux concepteurs, ou deux ingénieurs; fassent deux fois la même chose.

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Une autre façon de faire ? 

Les critiques à l’encontre du mode de diffusion de Star Citizen (ndt : les modules) citent souvent Elite Dangerous en exemple pour expliquer comment le jeu aurait dû être réalisé. Des recherches sur les forums de Star Citizen font ressortir des sujets sur lesquels les donateurs discutent des méthodes que CIG auraient dû mettre en place, à l’instar de celui-ci débuté en janvier 2016.

Peu avant que la campagne Kickstarter de Star Citizen ne se clôture, David Braben, le fondateur de Frontier Developments et créateur de la simulation spatiale extrêmement influente Elite, lança 32 ans après ce premier jeu la campagne de financement participative de sa suite moderne. Braben promis un gigantesque jeu de vaisseaux spatiaux rempli de systèmes stellaires, de stations spatiales, de pirates et de commerçants, un jeu que les joueurs pourront parcourir en compagnie d’autres joueurs. La comparaison avec Star Citizen fut immédiate.

La campagne fut un succès, mais en plus de proposer des pré-commandes d’Elite Dangerous sur son site web, le budget, les paliers de financement et les fonctions principales du jeu étaient déjà fixés. Frontier diffusa des versions bêta du jeu pour que les donateurs les essaient, avant de sortir le jeu final en 2014. Depuis la sortie d’Elite Dangerous, Frontier a continué de diffuser des patchs, poursuivi l’équilibrage et ajouté de nouvelles fonctionnalités. Le studio a également mis en ligne des extensions majeures ; l’extension Horizons, par exemple, a ajouté la possibilité d’atterrir sur des planètes. Alors qu’Elite Dangerous ne possédait pas autant de fonctionnalités que ce que Star Citizen proposera à sa sortie, il était concret. Il était jouable, et amusant. Et rien n’empêchait Frontier de continuer d’améliorer son jeu au cours des années suivantes.  

“Ce n’est qu’une approche”, dit Roberts lorsque j’abordai le sujet avec lui. D’après lui, alors que l’approche de Frontier était “une façon tout à fait viable de faire les choses”, le studio a proposé des fonctionnalités “basiques, les strict minimum” (“vous pouvez juste faire du commerce, gagner de l’argent et améliorer votre vaisseau”), le jeu était “le même que celui auquel vous pouviez jouer il y a 20 ans”, Frontier continue d’ajouter de nouveaux éléments et de corriger des problèmes liés aux dernières fonctionnalités, en opérant “étape par étape”.

Il y avait une époque où les joueurs qui nous suivaient pouvaient faire plus de choses que nous avec ce qu’ils avaient. – Source CIG

“C’est mieux de se pencher sur les aspects techniques maintenant, plutôt que d’appliquer des corrections rétroactives à mesure que vous progressez”, soutient Roberts. “C’est une approche assurément beaucoup plus compliquée à adopter, mais je pense que sur le long terme cela permettra de construire de plus solides fondations.” Roberts compare Star Citizen à des MMO comme World of Warcraft et EVE Online, déclarant : “si ça marche, alors le jeu pourra espérer avoir une longue espérance de vie, disons d’au moins dix ans.” Pour que cela arrive, “il lui faut des fondations robustes qui sont évolutives, peuvent être constamment entretenues et sur lesquelles on peut continuer de bâtir facilement. Si l’on n’anticipe pas une bonne partie de ces choses, alors on finira bien par payer cette dette technique tôt ou tard.”

Roberts admet que travailler sur la résolution de tous les problèmes techniques liés à la panoplie de fonctionnalités de Star Citizen avant sa sortie “a entrainé beaucoup de frustrations du côté artistique et de la conception, parce que leurs développeurs ne pouvaient outrepasser cette dette technique.”  Mais il ajoute que “vous verrez des progrès bien plus rapides” dans le développement Star Citizen, puisque ces soucis techniques sont derrière eux.

À ses détracteurs, Roberts déclare : “La course n’est pas encore finie. Attendez que la ligne d’arrivée soit franchie, ensuite seulement les gens pourront juger de ce qu’il fallait ou ne fallait pas faire. Instinctivement, c’était la façon qui me paraissait la plus juste.”

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Un problème de moteur.

Retournons à un stade très précoce de l’histoire de Star Citizen : le moment où il fut décidé d’utiliser le CryEngine. De multiples sources m’ont dit qu’adapter un moteur de jeu conçu pour des jeux de tir à la première personne afin de faire tourner un univers massivement multijoueur fut un obstacle majeur tout au long du développement de Star Citizen. Certaines m’affirmèrent également que créer un moteur à partir de zéro aurait en fait été, à ce stade, plus efficace.

“L’obstacle auquel CIG était confronté dès le premier jour était le CryEngine”, me déclara l’une de mes sources. “Le CryEngine est un excellent moteur pour faire un type de jeux : ceux de tir. [Pour faire Star Citizen] ils ont dû complètement l’étriper.”

Pour de nombreux exemples, réécrire des portions du code du moteur est tout à fait justifié : le code réseau du CryEngine a été conçu pour des parties multijoueurs à petite échelle, pas pour supporter éventuellement des milliers de joueurs ; le code de l’IA ne pouvait à la base pas assurer la complexité des tâches que le riche univers de Star Citizen nécessitait ; le système de rendu a été conçu pour des environnements lumineux sur Terre, pas dans l’espace.

D’autres décisions prises étaient en revanche moins justifiées, d’après mes sources. “Ils voulaient un tout nouveau système de jeu en vue subjective, donc ils ont acquis la licence du CryEngine, un moteur conçu de A à Z pour des jeux à la première personne, ils l’ont décomposé et ont commencé à créer un tout nouveau système de jeu en vue subjective dans un moteur qui en contenait déjà un”, indiqua une source de chez Foundry 42. “Je pense juste que c’était une décision vraiment, vraiment stupide.”

“Je me souviens de beaucoup de réunions au cours desquelles on se disait ‘Nous avons ces missions mais ils nous faut des systèmes de jeu en première personne fonctionnels pour les réaliser.’ On voyait certains joueurs prendre des ressources que nous avions mis en ligne et les placer dans le CryEngine pour utiliser le système de jeu en vue subjective et assembler des niveaux. Il y avait une époque où les joueurs qui nous suivaient pouvaient faire plus de choses que nous avec ce qu’ils avaient. On se disait ‘même si ce n’est pas la technologie dont on se servira au final, si on a ce qu’ils ont, on peut au moins se mettre au travail, assembler des trucs.’ Ça ne s’est pas fait. C’était nul.”

Retirer les systèmes de jeu à la première personne qui sont fournis avec le CryEngine peut sembler être une décision étrange, mais Roberts affirme que c’était une étape essentielle de ses plans pour unifier les vues à la première et à la troisième personne. “Dans la plupart des jeux de tirs en vue subjective, la première personne est constituée de mains flottants devant une caméra, et la troisième personne est faite avec une toute autre panoplie d’animations et de ressources”, explique-t-il. “Ça fonctionne bien dans les jeux à la première personne, surtout sur les jeux solo du genre. C’est également la raison pour laquelle si vous jouez à un jeu comme Crysis, la fidélité des animations dans la campagne solo ne sont pas les mêmes que dans le multijoueur. C’est également vrai pour Call of Duty.”

En d’autres termes, les animations que vous voyez en jouant avec une caméra subjective sont différentes de celles que verrait un joueur qui vous regarderait. Vous pouvez voir ce que veut dire Roberts dans ce GIF publié par Olly Moss, présentant une animation de Firewatch depuis un point de vue extérieur :

Dans Star Citizen, Roberts voulait utiliser un seul set d’animations et de modèles de personnages, peu importe la caméra utilisée par le joueur. “Cet aspect est un défi technique incroyable”, dit-il. “Peu de gens le font, et encore moins avec la fidélité avec laquelle nous le faisons. Vous ne pouvez tout simplement pas faire ça avec les éléments du kit de développement du CryEngine ou de l’Unreal.”

L’une des principales causes de retard fut une modification fondamentale du CryEngine : le faire passer d’un mode de calculs en 32-bit à un autre en 64-bit. Cela permettrait au moteur de tracer la position d’un objet dans un espace de jeu avec un degré de précision significativement plus élevé, préparant le terrain pour des environnements ouverts gigantesques. Quand les développeurs de CIG essayèrent de créer ces environnements dans le moteur avec un système de traçage en 32-bit, ils rencontrèrent des problèmes. “Il nous arrivait toutes sortes de choses, comme l’ATH qui s’étirait et les vaisseaux qui bondissaient d’un bout à l’autre de l’écran”, déclare Nick Elms, directeur créatif chez Foundry 42.

“Une partie de la dette technique qu’il nous fallait rembourser simplement pour passer d’un système de calculs 32-bits à un autre en 64-bits représentait des efforts colossaux. Cela nécessita beaucoup de travail sous le capot du moteur,” poursuit Elms.  Mais il ajoute que ce changement a permis à l’équipe de développement de passer d’une “toute petit bulle dans laquelle on testait le combat spatial dans [Arena Commander] à ces environnements immenses dans lesquels vous pouvez désormais voler. Il y a encore peu, ce n’était tout simplement pas faisable.”

Que quelqu’un se rende au boulot et ne travaille pas parce qu’il ne veut pas être ici est une chose. Aimer son boulot mais ne pas pouvoir travailler en est une autre – Source CIG.

Parce qu’une part importante du moteur était remplacée et que des modifications étaient constamment apportées par les différents studios, beaucoup d’éléments ont, par conséquent, dû être retravaillés. “Un truc est modifié et vient chambouler ce que vous avez fait, donc vous devez le reprendre et le retravailler, encore et encore”, me confia une source. “C’est la raison pour laquelle vous devez vous assurer que vos outils de travail sont conçus et achevés avant de commencer à créer le jeu.” Ma source admet cependant que “dire cela pour critiquer [spécifiquement] CIG est assez injuste, parce que pratiquement tous les studios de jeu dans le monde souffrent de ce problème… dans le cas présent, c’est tout simplement les ambitions du jeu et la quantité de travail à refaire qui ont particulièrement aggraver les choses.”

“J’ai fait tout mon possible pour rendre cette technologie fonctionnelle – pour créer une preuve de concept de ce sur quoi je travaillais – et ce fut tout simplement extrêmement frustrant. Que quelqu’un se rende au boulot et ne travaille pas parce qu’il ne veut pas être ici est une chose. Aimer son boulot mais ne pas pouvoir travailler en est une autre.”

Ce fut un sacré choc pour de nombreuses personnes du studio britannique, et en particulier pour les anciens développeurs de chez TT Fusion. “On débarquait de l’univers Lego, où notre travail se résumait littéralement à sortir un jeu tous les quatre à six mois”, me raconta Erin Roberts. “C’est une façon très différente de développer un jeu parce que [chez TT] ils sont sur un engin de douzième génération où vous n’avez même pas à faire évoluer le code du programme pendant les trois premiers mois du projet. Alors qu’ici, nous innovons chaque jour et nous étendons les capacités du moteur dans les différents domaines concernés parce que nous voulons produire.”

“Vous pouvez très bien venir au travail et réaliser que vous êtes bloqués. Pour les gens qui ont bossé chez TT Fusion, c’est tout bonnement impardonnable ; c’est un truc pour lequel les responsables se ferait sortir par le col et renvoyer. Alors qu’ici, ça fait partie de ce qu’on doit accepter – vous vous occupez d’autre chose, vous passer à une autre tâche et vous commencer à faire des concepts sur papier, ou un truc du genre.”

“Il y a une ou deux personnes qui ont fait face à cette situation et à qui ça n’a pas plu de concevoir une technologie en même temps que l’on crée un jeu, alors ils sont retourner bosser sur des jeux Lego”, déclare Elms. “Ils aimaient avoir un moteur déjà constitué et savoir exactement ce qu’ils avaient à faire.”

Bien que Chris Roberts comprend la frustration des concepteurs, il maintient que ce travail devait être fait. “Il n’existe pas de moteur qui puisse faire ce que l’on fait”, dit-il. “Si c’était le cas, nous en aurions déjà acquis les droits d’exploitation. Nous devions le modifier pour passer à une échelle supérieure. […] Vous pouvez parcourir les millions de kilomètres. Les environnements font des centaines de milliers de kilomètres de largeur. Vous ne pouvez pas faire ça avec un moteur qui fonctionne avec du 32-bit. Peu importe que vous utilisiez l’Unreal ou le CryEngine, ou même Unity.  Nous aurions dans tous les cas dû les retravailler. Oui, vous pouvez charger le CryEngine et faire les choses simplement, tout comme vous pouvez le faire avec l’Unreal ou Unity, mais ça ne marchera pas du tout pour ce dont on a besoin.”

“Je ne pense pas que si l’on avait choisi l’Unreal 5, on se trouverait dans une meilleure position”, poursuit Roberts. “Je peux comprendre que [faire passer le moteur d’un système 32-bit à un système 64bit] soit frustrant pour certaines personnes, mais je ne repense pas à ce qu’on a fait en me disant ‘Si seulement j’avais choisi l’Unreal’. On aurait dû y faire face, tôt ou tard. Les gens de ce métier, et même nos concepteurs et nos artistes, n’ont pas toutes les [compétences] techniques… ils connaissent juste leurs outils.”

À mesure que le budget et l’ambition grandissaient, il était, d’après l’avis d’une de mes sources, de moins en moins pertinent de partir du CryEngine pour développer le jeu. “Le budget original [de Star Citizen] était de 500 000$ pour créer un successeur nostalgique et spirituel de Wing Commander dans le CryEngine. C’est un budget tout à fait raisonnable. L’argent a ensuite continué d’affluer et Chris Roberts a commencé à faire des promesses auprès des journalistes dont il n’avait pas discuté avec l’équipe de développement. Je ne sais pas s’il avait idées précises, mais on savait tous qu’il promettait des choses sur les vidéos de la PAX et dans des interviews que l’équipe de développement ne pouvait produire en l’état actuel des choses.”

Le CryEngine était un choix judicieux quand ils ne voulaient rassembler que 500 000$ et qu’ils avaient besoin d’une technologie déjà existante pour créer un jeu avec. Vous ne pouvez pas créer votre propre moteur avec cinq cents mille dollars. Mais vous pouvez le faire avec cent millions. – Source CIG

“Il était clair que le CryEngine n’allait pas suffire”, poursuivi ma source. “Le CryEngine était un choix judicieux quand ils ne voulaient rassembler que 500 000$ et qu’ils avaient besoin d’une technologie déjà existante pour créer un jeu avec. Vous ne pouvez pas créer votre propre moteur avec cinq cents mille dollars. Mais vous pouvez le faire avec cent millions. Pour que Star Citizen fonctionne, il lui faut un logiciel propriétaire. La plupart des problèmes rencontrés venait de la réécriture du code du CryEngine pour lui faire faire ce dont nous avions besoin. C’était de tout évidence ce qui a tout ralenti.”

Un autre problème avec le CryEngine, d’après une de mes sources, “est qu’il possède une nombre ahurissant de lignes de codes qui font doublon et d’autres héritées de l’ancien code et non référencées. Que peut-on jeter de l’ancien CryEngine et, si l’ont ajoute nos propres lignes de code, quels autres composants cela va-t-il négativement impacter ? C’est comme de se rendre dans une quincaillerie qui vient d’être frappée par une tornade : ouais, vous pouvez vous dégoter un marteau quelque part, mais il vous faudra retourner un tas d’immondices pour le trouver.”

Certains composants majeurs du CryEngine sont toujours en cours de réécriture. Le code réseau du moteur, par exemple, est en passe d’être retiré et refait. Mais toutes mes sources ne s’accordent pas pour dire que le CryEngine était un mauvais choix. L’une d’elle rejoint Roberts pour dire que Unity et l’Unreal, deux autres options sérieuses, auraient posé à peu près les mêmes problèmes. Il aurait été plus pertinent pour les développeurs de CIG de créer leur propre moteur, mais au début de ce projet, l’échelle était tellement plus petite que cela n’aurait pas été faisable.

Je pense que les gens ne prennent pas beaucoup de risques à désigner le CryEngine ou tout autre moteur comme le bouc émissaire. – Roberts

“J’ai créé des moteurs auparavant ; quand j’étais chez Digital Anvil, nous avons créé un moteur de toute pièce, et j’ai refait la même chose quand on était chez Origin”, conteste Roberts. “C’était au moins deux avant d’avoir la moindre chose à montrer, la moindre chose vraiment viable et concrète. Quand je me suis lancé là-dedans, j’ai dit que je ne voulais pas perdre de temps, gâcher ces deux années…”

“Je pense que les gens ne prennent pas beaucoup de risque à désigner le CryEngine ou tout autre moteur comme le bouc émissaire. Si l’on faisait un simple jeu de tir en vue subjective, on aurait fait face aux même problèmes ou aux mêmes défis, mais ce n’est pas ce que l’on fait, et on n’a pas récolté l’argent que l’on a aujourd’hui parce que nous faisions des choses simples. Nous l’avons récolté parce que l’on voulait repousser les limites.”

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Une sacrée production.

À mesure que CIG recrutait davantage de personnes et travaillait parallèlement sur davantage d’aspects du développement de Star Citizen, il apparu évident qu’il avait des soucis dans la production du jeu – pas seulement dans l’organisation du développement, mais aussi sur sa gestion et la façon dont le travail était délégué. Au cours des deux dernières années, une réorganisation significative de toute la compagnie fut effectuée, dans le but de développer plus efficacement le jeu.

Différentes sources m’ont indiqué que depuis les premiers jours du développement de Star Citizen, Les objectifs globaux de la feuille de route étaient bien définis, mais la façon dont ils ont été décomposé en tâches était incomplète. “En atteignant un palier, vous définissez les priorités de travail en établissant une structure de gestion où vous pouvez dire que telle chose est une priorité une, elle doit être faite dans les quatre prochaines semaines. Ça c’est une priorité deux, celles-là des priorités quatre et cinq, ces tâches peuvent être remises à plus tard et celles-ci sont des objectifs de financement, on peut s’en occuper pour la prochaine étape importante du développement”, indique une source.

Mes sources m’expliquent que l’organisation adoptée n’était pas hiérarchisée, ce qui signifie que tout pouvait devenir une priorité. “Si toutes les tâches sont prioritaires, alors aucune ne l’est vraiment. Si aucune tâche n’a la priorité, alors les objectifs ne sont atteints que lorsque l’on a fini de travailler une chose, ce qui rend les paliers et autres étapes importantes caduques.”

Autre problème : les équipes étaient trop ambitieuses quant à ce qu’elles pouvaient réellement faire, les objectifs qu’elles visaient chaque mois étaient beaucoup trop hauts. En temps normal, ce genre d’enthousiasme serait contenu par les producteurs, mais c’est sur ce point que CIG avait un problème. “Un grand nombre de nos coordinateurs et de nos producteurs avaient peu d’expérience dans ce genre de développement, donc ils ignoraient ce qui était techniquement faisable”, m’indiqua une source.

“Si un artiste, un ingénieur ou un concepteur dit “ça va prendre deux jours” mais que ça prend un mois, [le producteur] ne saurait pas estimer le temps requis parce qu’ils ne comprenait pas ce qui leur étaient demandé, ou il ne se base pas sur la vitesse à laquelle la personne avait travaillé par le passé pour prendre de décision. Il dirait simplement ‘cool, quand tu penses que tu as terminé, fais-le moi savoir.”

Faire des jeux, et en particulier des jeux aussi vastes que Star Citizen, est une entreprise compliquée où aucun développeur ne travaille totalement isolé de ses collègues. Cela veut dire que lorsqu’une tâche prend plus longtemps que prévu, cela n’entraîne de retards pas que pour un développeur, mais pour toute une série de personnes. Chaque vaisseau de Star Citizen est travaillé par plusieurs personnes, des artistes concepteurs aux infographistes 3D, en passant par les artistes des textures et les concepteurs techniques, ainsi que tout un tas d’autres gens. Il en va de même pour les personnages, les accessoires, les décors. En conséquence à ces problèmes de production, on arriva au point où des modèles de personnages qui devaient prendre trois mois à faire en prenaient presque six.

C’était juste un énorme ramassis de documents et de données à la con, dont beaucoup entraient en conflit les uns avec les autres. Parfois les documents étaient périmés, et d’autres fois quelqu’un travaillait sur quelque chose qui avait déjà été fait. – Source CIG

“Il y avait beaucoup de documents”, me raconta une source. “Beaucoup trop. C’était juste un énorme ramassis de documents et de données à la con, dont beaucoup entraient en conflit les uns avec les autres. Parfois les documents étaient périmés, et parfois quelqu’un travaillait sur quelque chose que quelqu’un d’autre avait déjà fait. Il arrivait même que deux personnes fassent la même chose sans le savoir, et elles finissaient donc par créer deux éléments différents conçus pour avoir la même fonction. Ça arrivait dans tous les studios.”

Aucun développement de jeu ne débute avec une ligne de production parfaite ; les tâches sont établies à mesure qu’apparaît ce qui est le plus pratique à faire. Mais comme Jones le souligne, pour CIG c’était “une parfaite tempête. [On] agrandissait la compagnie, il y avait de nouvelles technologies, plusieurs studios. Vous testez des trucs et c’est difficile quand la moitié d’un studio est responsable d’une chose alors que l’autre partie du projet est gérée par un autre studio, dans un autre fuseau horaire.”

Alors que la fin de l’année 2014 approchait, Roberts m’explique s’être entretenu avec son frère, Erin, et de tous les deux se dire “ça ne va pas marcher si on continue à travailler [de cette façon]”.

Les frères prirent du recul et réalisèrent que malgré les problèmes de production touchant la compagnie dans son ensemble, “si l’on devait classer les studios selon celui qui faisait le mieux son job, l’équipe britannique était bien plus carrée”, me dit Chris Roberts. Il étudia plus attentivement la façon dont Erin dirigeait le studio du Royaume-Uni et réalisa la rigueur avec laquelle l’équipe respectait son calendrier de production, ainsi que la proximité entre les chefs et les développeurs dont ils suivaient le travail. Alors que Foundry 42 était un jeune studio, les développeurs qui formaient le noyau dur avait tous déjà travaillé ensemble pendant des années, en faisant des jeux Lego chez TT Fusion. “Ils en ont fait tellement […] qu’ils fallaient qu’ils soient super-organisés”, expliqua Roberts. “Ils n’avaient parfois que six mois pour sortir un jeu.”

Roberts demanda à ce que tous les studios CIG adoptent les méthodes du studio britannique. Cette décision ne fut pas bien accueillie par tout le monde : “Au départ, la production des vaisseaux était centralisée à Los Angeles, ensuite ça n’allait plus et les gens du studio britannique étaient frustrés, alors on a délocalisé ce travail au Royaume-Uni, après quoi les développeurs de Los Angeles eurent le sentiment d’être rétrogradés, et ça les bouleversait”, déclare Roberts. “Ça a eu des répercussions, il y a eu des départs.” Erin Roberts devint responsable de la production globale de Star Citizen, et CIG embaucha davantage de producteurs pour s’en sortir avec les moindres détails que les méthodes d’Erin requiéraient.

Je pense qu’il y a eu un moment où tout le monde se marchait sur les pieds, et cela a accentué la frustration qui régnait entre les différents studios. – Tony Zurovec

Des gestionnaires furent proposés pour chaque ligne de production. Par exemple, on a Nathan Dearsley qui est responsable des vaisseaux, Francesco Roccucci de l’IA et Ian Leyland des décors. “Désormais, vous avez des responsabilités clairement délimitées selon ce que chacun doit faire”, m’indique Tony Zurovec. “Une fois que vous avez mis ça en place, je pense que de façon générale, les gens se font moins de reproches. […] Si vous revenez à l’époque d’Arena Commander (le module de combats spatiaux), il y avait beaucoup de chefs dans la même cuisine, je pense qu’il y a eu un moment où tout le monde se marchait sur les pieds, et cela a accentué la frustration qui régnait entre les différents studios.”

Paul Jones, le directeur artistique de Foundry 42, explique que la nouvelle structure lui a personnellement apporté des avantages. “[Au début] j’avais énormément de choses à faire pour m’occuper de Squadron 42 et jongler entre tous ses domaines artistiques et conceptuels”, m’explique-t-il. “Je discutais avec Erin et je lui faisais savoir que certaines balles allaient devoir rester au sol, parce que je ne pouvais pas jongler avec toutes. On a réalisé qu’on devait déléguer davantage au sein du studio.”

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Licenciements.

Il y eut des victimes de la restructuration : à Austin, de nombreux développeurs du studio ont été licenciés.

Lorsque le studio d’Austin fut fondé, des concepteurs, des infographistes, des ingénieurs et toutes les personnes nécessaires furent embauchées pour commencer à donner forme à Star Citizen. Comme nous l’avons vu, il y a une multitude de raisons pour lesquelles le développement a été délocalisé vers d’autres studios ; aujourd’hui, l’équipe d’Austin se focalise sur l’infrastructure des serveurs, le support client et les opérations d’exploitation.

“La partie du développement qu’il était logique de développer dans les locaux texans, telle que toute l’infrastructure back-end du réseau, les trucs qui concernent l’univers persistant et le reste, tout ceci est encore géré par l’équipe d’Austin”, explique Zurovec. Concernant en revanche d’autres parties du développement, “de meilleures opportunités se présentèrent – il y avait plus de gens ailleurs qui avaient énormément d’expérience avec le moteur.”

Cette restructuration fut perçue par certaines personnes extérieure comme une fermeture du studio d’Austin par CIG. “Les gens flippaient, ils disaient ‘Oh, vous le fermez, c’est une catastrophe”, se rappelle Zurovec. “En fait ce n’est pas une catastrophe : vous essayez de dépenser chaque dollars le plus efficacement possible. L’ironie veut que vous preniez des décisions difficiles pour faire au mieux, et la perception du public est parfois biaisée parce qu’il n’a pas toutes les informations. Ils n’ont connaissance que de cet élément indéniable : ‘Ils se débarrassent d’une douzaine de personne là-bas’. C’est vrai, mais vous passez à côté du fait que Foundry 42 compte 50 personnes en allemagne et embauche constamment du monde au Royaume-Uni.”

Zurovec expose la logique très élaborée derrière la restructuration ainsi que la raison pour laquelle ce fut une bonne chose pour CIG. Je me suis entretenu avec des gens d’Austin, et ces erreurs de début de parcours qui nécessitent une correction de cap eurent un coût humain : des gens ont perdu leur travail. Cela mérite que l’on s’attarde  sur ce point.

“Il y a eu, je crois, deux purges à l’époque où j’y étais et qui ont touché six à quinze [personnes] environ”, m’indiqua une source. “J’estimais que certains renvois étaient mérités, alors que d’autres ne l’étaient, à mon sens, pas du tout.”

C’est très facile quand vous êtes loin de reporter la faute sur un autre gars et de dire ‘Ils ont fait planter le code. C’est la faute de ces idiots de je-ne-sais-quel studio.” – Roberts

“La façon dont ils s’y sont pris la dernière fois fut horrible. Dans les autres studios où j’ai été remercié, ou dans lesquels j’étais présent à l’époque de renvois, ils organisaient généralement deux réunions. Tout le monde est invité à l’une d’entre elles. Vous ne savez pas si vous assistez à la réunion réservée aux gens qui sont renvoyés, où à celle des gens qui restent. En fait, c’est pratiquement devenu une blague dans le milieu : c’est comme d’être conduit dans une salle et de recevoir à l’arrière du crâne – vous ne saviez jamais ce qui allait se passer. Mais chez CIG, ils s’installaient dans un des bureaux et ils appelaient les gens un à un pendant près de six heures.”

“Vous ne saviez pas du tout si on vous appellerait, mais tous ceux qui étaient convoqués recevait une balle à l’arrière du crâne. Il y avait donc une atmosphère très angoissante où votre superviseur venait vous voir et vous assurait qu’il était à peu près sûr que vous étiez en sécurité, mais même lui n’en savait rien. Et puis le type à côté de vous est convoqué à la réunion, vous échangez un regard avec lui qui veut dire ‘Mince, mec, je suis vraiment désolé pour toi.’ C’est la pire des façons de gérer des renvois. Ils ne l’ont pas fait pour créer un climat d’angoisse, mais j’étais surpris(e). C’était la première fois que je le voyais fait de la sorte.”

Quand je discutais avec Chris de licenciements et de restructuration, il maintenait que c’était nécessaire. “Il faut que vous trouviez la bonne alchimie”, dit-il. “Ça ne sera pas beau sur leur CV. Mais il se peut qu’ils ne s’intègrent pas. Et parfois vous pouvez engager quelqu’un et un à deux mois plus tard, vous réalisez que ça ne va pas fonctionner. C’est la chose la plus difficile, parce que vous n’engagez jamais personne parce que vous voulez les renvoyer plus tard. Vous ne faites jamais ça. Cela demande beaucoup de licencier des gens.”

“Je suis mauvais dans ce domaine”, affirme-t-il. “Je suis un grand sentimental et j’accorde toujours des chances supplémentaires aux gens, mais j’essaie de m’endurcir concernant notre organisation parce qu’à chaque fois que nous nous trouvons dans une situation que nous pouvons, je pense, renverser, mais que la personne responsable ne le fait pas, elle devient un peu plus amère et frustrée, et la sortie est un peu plus bruyante.”

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Le jeu des reproches.

Au cours de mes entretiens avec des employés ou d’anciens employés de CIG, il revenait très souvent le sentiment que les choses ne fonctionnaient pas comme elles le devraient et que tout ceci était la faute de quelqu’un d’autre. Ce phénomène était décrit comme une culture du reproche, dans laquelle lorsqu’une tâche est reportée ou n’a pas plus être accomplie, les développeurs en attribuaient la responsabilité à d’autres, et plus particulièrement à des personnes travaillant dans d’autres studios. Cette animosité a favorisé un climat de travail hostile ; une source me confia même qu’en résultat, certains souffrirent de crises de panique.

Nombre de développeurs avec lesquels je me suis entretenu m’avouèrent avoir l’impression que leur studio faisait la part du travail qui revenait à d’autres. Plusieurs sources britanniques auxquelles je me suis adressé mentionnèrent le fait que des infographistes de chez eux finissaient par refaire beaucoup d’éléments créés par l’équipe artistiques américaine – mais d’après Chris Roberts, des accusations réciproques étaient émises.

“Vous avez la version d’un type qui se plaint au Royaume-Uni”, dit-il. “J’ai entendu exactement la même chose aux États-Unis d’un type qui se plaignait de développeurs britanniques. C’est très facile quand vous êtes loin de reporter la faute sur un autre gars et de dire ‘Ils ont fait planter le code. C’est la faute de ces idiots de je-ne-sais-quel studio.’ On a vraiment travaillé dur pour se débarrasser de ça. On essaie de s‘assurer que les membres clés d’une équipe passent du temps avec les personnes des autres studios avec lesquelles ils travaillent, parce que c’est un défi de tous les instants de maintenir la communication, d’encourager la coopération et d’essayer de faire tomber les obstacles érigés par la distance qui les séparent.”

Cette culture du reproche a démoralisé bon nombre des employés actuels et passés auxquels j’ai parlé. “C’était un cauchemar à une époque”, me raconta une source. “Votre travail vous faisait peur. Vous connaissez l’adage “shit rolls downhill” (ndt : “les emmerdes ne font que descendre”, que je vous traduis littéralement parce que c’est expliqué après et que j’ai dû perdre 25% de ma masse capillaire à chercher un équivalent français :3) ? Si quelque chose tourne mal, il y a certaines personnes à qui on ne le reprochera jamais. Les seules gens qui finissaient toujours par être tenues responsables d’un cafouillage ou d’un problème étaient ceux qui n’avait pas assez de pouvoirs pour faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre.

Lors de nombreux entretiens (pas tous), Chris Roberts était désigné comme un élément autoritaire et, parfois, perturbateur.

“C’était généralement à l’occasion d’une présentation”, me confia une autre source. “La date butoire approchait. Chris insistait pour qu’une chose soit faite d’une certaine façon, vous essayiez de le raisonner en lui disant ‘Eh bien, en fait non. Il se pourrait que ça cause ceci…’ et il répondait “Non, non, non, vous devez le faire. Faites-le comme ceci.” Vous vous exécutiez et quand ça échouait ça ne lui plaisait pas.”

“C’était une situation plus que récurrente”, poursuivit la source. “Ça créait une ambiance incroyablement stressante où vous n’aviez aucun réel contrôle sur votre travail, et on vous en tiendrait responsable. Donc tout le monde fait porter le chapeau à quelqu’un d’autre.”

“J’ai travaillé avec d’autres directeurs par le passé qui avaient d’énormes problèmes d’égo, mais ils ne provoquaient pas ce goulot d’étranglement”, m’expliqua une source. “Ils servaient à résoudre les problèmes, pas à les créer. Je crois que dans le cas de Chris, il crée beaucoup à la façon dont il choisit de se positionner au sein d’entreprise. C’est le chef, le directeur, le directeur de projet et le directeur général. Quand les managers et les directeurs doivent tous rendre des comptes à une personne qui intervient autant, cela anéantit leur capacité à gérer leur équipes.”

“J’écoute vraiment tout le monde mais lorsque je prends une décision je m’attends à ce qu’on la respecte” – Roberts

“J’écoute vraiment tout le monde mais lorsque je prends une décision je m’attends à ce qu’on la respecte”, déclare Roberts en réponse aux affirmations précédentes. “Quand je suis vraiment à bout, c’est parce que les gens ne [font pas ce qu’ils devraient faire] de façon volontairement rancunière, et qu’au lieu de ça ils essaient de remettre ça à plus tard, en prétextant qu’il faut que ce soit fait autrement. Ça, ça me dérange vraiment, vraiment beaucoup parce que ça crée constamment des conflits. J’aime être entouré d’un tas de gens super créatifs et j’apprécie qu’ils apportent toutes leurs idées, mais quand je dis qu’on doit aller à gauche et non à droite, tout le monde doit aller à gauche. Ce n’est pas une question d’égo – c’est dans l’intérêt du projet.

“Si vous n’avez pas un moteur ou une vision particulière qui vous motive à travailler, alors vous perdez le nord. C’est un peu la raison pour laquelle j’aime la préparation de films. Vous pouvez ne pas être d’accord avec ce que fait le réalisateur, comment il tourne une scène, pourquoi il en retire une autre, ça n’a pas d’importance : vous vous donnez à fond pour ce réalisateur parce que tout repose sur ses épaules. Si le jeu ne fonctionne pas, c’est ma responsabilité, pas celle d’un junior designer ou je-ne-sais-quoi. Donc c’est à moi de décider si c’est bien ou non. Donc dites plutôt ‘C’est ce qui, d’après moi, devrait être fait’, j’écouterai et dans certains cas je répondrai ‘C’est plutôt bien, essayons ça’. Mais quand j’ai fait un choix […], je m’attends à ce que les gens aillent dans mon sens. Je n’aime pas les comportements rancuniers. Ça me rend dingue.”

Une autre source me raconta que Roberts faisait parfois la leçon aux chefs en public. “Les chefs recevaient un appel Skype hebdomadaire, et chaque semaine quelqu’un se faisait passer un savon, publiquement, pour que tous les chefs soient au courant”, m’indiqua une autre source. “C’était de l’humiliation publique. C’est quelque chose qui est arrivé plus souvent que cela n’était nécessaire, et ce n’est pas justifié… ce n’est jamais justifié. […] L’implication de Chris a sans conteste créé cette atmosphère de peur, de tension et d’agitation générale.”

“Il m’arrive de perdre le nord”, m’explique Roberts. “Il est vrai que certaines fois, les premiers jours, j’avais le sentiment que les gens me donnaient toujours les mêmes réponses et je leur en tenais compte. Je leur disais ‘Tu m’as déjà dit ça la dernière fois. Il faut que tu me donnes une meilleure réponse. Pourquoi est-ce que ce truc ne marche pas ? Donne-moi une raison. Tu ne peux pas juste dire que c’est de leur faute.’ Je suis généralement plutôt gentil jusqu’à ce que j’aie l’impression que quelque chose n’est pas fait, ou qu’il faut que j’intervienne sur autre chose. Mais j’ai toujours été comme ça. Je pense que ça peut parfois être dur pour certaines personnes.”

J’accorde généralement plusieurs chances aux gens, mais au bout d’un moment je vais dire ‘Il faut assumer vos actes. De nombreuses personnes dépendent de l’accomplissement de cette tâche, donc que fait-on ? Quel est le plan ?’ – Roberts

“Ce qui m’irrite vraiment, c’est si quelqu’un dit qu’il allait faire quelque chose et qu’ils reviennent en disant qu’ils ne l’ont pas faite, sans apporter de solution ni d’explication”, développe Roberts plus tard au cours de l’entretien. “J’accorde généralement plusieurs chances aux gens, mais au bout d’un moment je vais dire ‘Il faut assumer vos actes. De nombreuses personnes dépendent de l’accomplissement de cette tâche, donc que fait-on ? Quel est le plan ?’ Les gens peuvent prendre ça pour de la rudesse ou de l’humiliation publique, mais je ne vais jamais dire ‘T’es un putain de con’ – ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Mais je vais demander des comptes aux gens s’ils s’engagent sur un truc et que la semaine suivante ils ne s’y sont pas tenus correctement, ou qu’ils l’ont fait sans faire attention aux détails.”

Différentes sources ont décrit des moments où Roberts insistait pour faire quelque chose dans Star Citizen et que les membres de l’équipe de développement insistaient pour que ce ne soit pas fait. Une source me raconta qu’une fois, Chris vint au travail après avoir joué à The Order : 1886. Impressionné par le niveau de détails artistiques, il demanda aux artistes de CIG en charge des personnages de proposer la même qualité. L’équipe, m’indiqua la source, considérait que c’était impossible. “C’est bien pour un jeu solo où vous pouvez contrôler des trucs et afficher les éléments d’une certaines manière”, m’expliqua une autre source. “Ce n’est pas ce que vous attendez d’un MMO ou d’un jeu en monde ouvert. Mais toute personne ayant travaillé sur des jeux le sait.”

Le second exemple que l’on m’ait donné concernait le jour où Roberts était venu après avoir vu un autre jeu en cours de développement sur le CryEngine, Kingdom Come : Deliverance. Il avait été estomaqué par l’inventaire des personnages et le systèmes de tenues, qui comportait plusieurs couches de vêtements où chaque élément à des propriétés qui lui sont propres, que ce soit sa matière ou son poids en passant par sa forme, et qui affectent la façon dont il s’anime. Chris le voulait pour Star Citizen.

“Tous les développeurs qui ont travaillé sur des systèmes d’inventaires ont dit ‘OK, alors, voilà pourquoi ça marche dans leur jeu et pourquoi ça ne marchera pas pour ce jeu’,” me confia une source. “On a passé quatre mois à essayer de prouver que l’on avait raison parce que c’est comme ça que ça marche avec Chris Roberts. Il ne vous croira jamais si vous dites que vous ne pouvez pas faire quelque chose. Vous devez vraiment prendre le temps de faire entièrement quelque chose pour ensuite lui montrer que lorsque vous appuyez sur le bouton, ça ne fonctionne pas. C’était un problème perpétuel. L’équipe a perdu quatre mois là-dessus, soit un certain coût en main d’oeuvre et en heures, pour prouver qu’effectivement, ça ne fonctionne pas.”

Une autre source ajouta : “Il n’est pas possible de faire de compromis avec Roberts ni de le raisonner une fois qu’il a pris sa décision sur quelque chose.”

Dernier exemple cité : le système de caméra de Star Citizen. Roberts a insisté pour que les joueurs aient la possibilité de passer de la première à la troisième personne à n’importe quel moment. Une source m’expliqua que “[Les développeurs de l’équipe] qui avaient déjà travaillé sur des jeux de tir en vue subjective avaient déclaré ‘Vous pouvez confectionner une expérience à la première et à la troisième personne, mais le rendu sera vraiment à chier.”

“Vous ne pouvez bien évidemment pas créer un jeu de tir à la première et à la troisième personne et vous imaginer que les angles de vue et la vitesse à laquelle le personnage peut se déplacer vont marcher pour les deux types de gameplay”, poursuit la source. “Je ne veux pas dire que ça n’a jamais été fait, mais il y a une raison pour laquelle personne n’a essayé de faire ça depuis les années 90. Je pense que parce que la technologie a énormément progressé depuis les deux jeux sur lesquels Chris a travaillé, ses exigences entraient directement en conflit avec la qualité de ce qu’il attendait.”

Le problème avec ces trois exemples, c’est que Roberts déclare que son équipe s’est débrouillée pour les faire marcher. Les modèles hautement détaillés, le système complexe d’inventaire, les caméras à la première et à la troisième personne : tout ceci est déjà visible dans l’alpha. Dans le module Social, vous pouvez voir la qualité des modèles de personnages, habiller votre avatar, superposer les vêtements les uns sur les autres et vous servir des caméras à la première et la troisième personne. Nous n’avons toujours pas vu si le jeu pouvait gérer tous ces systèmes complexes et gourmands en ressources sur un serveur peuplé simultanément de nombreux joueurs, mais rien n’a encore donné raison aux gens qui m’ont affirmé que tout ceci ne pourrait être fait.

“Alors ça, ça m’énerve”, déclara Roberts quand je l’interrogea au sujet de ces trois évènements particuliers. (Il reconnaît qu’ils ont tous eu lieu.) “Il s’agît de quelqu’un qui a des idées préconçues et qui va se contenter de quelque chose qui n’est pas assez bien. Pour l’histoire de la première et la troisième personne, il y avait beaucoup de gens au sein de l’équipe qui disaient qu’on ne pouvait pas le faire. Ils disaient que c’était impossible. Illfonic [le prestataire en charge de Star Marine] a dit la même chose. Ce fut la même chose pour les personnages : j’ai dit qu’il fallait qu’on le fasse. Et concernant l’inventaire… c’est en train d’être mis en place aujourd’hui dans la [version] 2.4. Vous pouvez porter des vestes, des pantalons et des casquettes. Il y a un système de couches avec l’armure. Donc tout ce que cette personne vous a dit qu’il était impossible de faire, c’est déjà dans le jeu aujourd’hui avec la qualité [que j’ai demandée]. Ce qu’on propose est aussi bien ou mieux que ce que propose 1886.”

“C’est un exemple de personnes qui disent ‘Non, je ne peux pas le faire’ et qui n’en démordent pas. Ce sont les personnes avec qui je n’accroche pas, les mêmes personnes qui finissent par ne plus faire partie de l’entreprise… Si je devais aller dans le cliché, s’il s’agissait d’un(e) américain(e) je lui dirais que je veux un Ameri-can, pas un Ameri-can’t (ndt : can’t -> ne pas pouvoir). Je veux quelqu’un qui essaie […] parce qu’on peut absolument le faire. Nous on essaie de faire quelque chose qui propose le niveau de détails que vous pouvez voir dans The Order, ou le niveau de détails que vous voyez dans un jeu de tir à la première personne mais avec un multijoueur en ligne et ce vaste univers, et je suis absolument convaincu, jusqu’au plus profond de mon être, que c’est faisable.”

“Ce n’est pas facile. Je pense que la différence entre un grand jeu et un jeu passable, ce sont les gens qui essaient de faire des choses difficiles. C’est comme le discours de JFK qui parle d’aller sur la lune. On le fait parce que c’est difficile, pas parce que c’est facile. C’est ce que j’attends de l’équipe et si en réponse j’entends ‘Eh bien, je n’ai pas fait ça quand je bossais dans cette autre entreprise’, eh bien, ici on essaie de se dépasser un peu plus et si vous ne pouvez pas vous y faire alors vous ne convenez peut-être pas à l’équipe. Je suis certain de ne pas être le seul créateur de jeu à me retrouver occasionnellement dans cette situation.”

Quand vous avez une structure d’entreprise comme celle de CIG, vous rendez inutiles les directeurs. Vous faites en sorte que les employés aillent directement voir Chris Roberts. Pourquoi iriez-vous voir votre directeur ? Son avis n’a aucune importance. – Source CIG

La dernière critique que ma source émit à l’encontre de Roberts concernait son habitude de contacter directement infographistes, concepteurs et programmeurs à propos de leur travail, peu importe qu’ils soient en bas de la hiérarchie, en contournant ses directeurs. ‘Imaginez qu’à chaque élément de contenu ajouté au programme […] il va, tôt ou tard, donner son avis’, m’expliqua une source. “Si vous pouviez imaginer être sur Facebook et qu’à chaque fois que vous postez quelque chose, Mark Zuckerberg y répondra, vous feriez très attention à ce que vous postez.”

Cela aurait entraîné des accrochages entre de jeunes membres de l’équipe et leurs chefs ainsi que leurs directeurs. “Si vous êtes un jeune artiste, un jeune concepteur ou un jeune programmeur, et que Chris commente votre travail en disant ‘Eh, ça c’est bien’, en tant que développeur vous considéreriez que ‘C’est terminé, Chris approuve’. Eh bien, votre directeur dirait ‘On a encore beaucoup de chemin à faire. Les standards de qualité de Chris sont inférieurs aux miens’. Il y avait beaucoup de conflits.  Ça arrivait dans tous les domaines, en conception, en art et en programmation.”

Une autre source me raconta que cela rendaient les directeurs “inutiles”.

“Quand vous avez une structure d’entreprise comme celle de CIG, dans laquelle la personne au sommet va, à n’importe quel moment, voir les employés les plus en bas de la pyramide et les détourner complètement de leur tâche, tout en sapant l’’autorité du directeur… dans ces conditions, vous rendez inutiles les directeurs. Vous faites en sorte que les employés aillent directement voir Chris Roberts. Pourquoi iriez-vous voir votre directeur ? Son avis n’a aucune importance.”

“C’était probablement le projet le plus ridicule sur lequel j’aie jamais travaillé”, me confia une source. “Je tolère très peu les lacunes de direction et de gestion. Je pense qu’il s’agit des deux piliers qui font tenir une équipe. Peu importe le milieu professionnel concerné. Si vous n’avez pas les qualités d’un dirigeant, vous ne trouverez que des gens malheureux. Je pense que chez CIG on s’appuie sur la personne qui dirige le navire, et si ce navire ne va pas très bien […] cela crée des problèmes du haut vers le bas de la hiérarchie.”

“Je pense qu’il a eu trop d’argent trop vite, qu’on ne le lui a pas demandé de comptes pour ses propos, ses actions, ou des choses qu’il était censé sortir, et il a transformé le projet en une idée hors de contrôle. Je pense que s’il y avait des gens dans son entourage pour le soulager de son devoir de PDG, ou que s’il faisait plus confiance à ses directeurs et ne les microgérait pas autant, alors il serait perçu comme quelqu’un de bien plus facile au travail.”

En réponse à ces accusations de microgestion, Roberts admit volontiers qu’il jette souvent un oeil à chaque élément artistique inclus dans Star Citizen. “J’ai une certaine obsession compulsive qui me pousse à tout vérifier, parce que je veux que tout soit beau. C’est aussi une façon de faire passer [le message] à l’équipe, ce que j’aime et quels goûts j’ai, et ensuite accroître leur confiance.”

“Je fonctionne beaucoup avec le visuel,  j’ai un passé artistique, donc j’aime voir les choses en développement pour ensuite faire mes retours à mes directeurs. La plupart du temps, je vais dire que ça a l’air génial… [mais] c’est à moi qu’appartient la décision de retravailler des vaisseaux. Pas à un directeur artistique. [De la même façon], si j’ai l’impression qu’une ressource n’a pas besoin d’être retravaillée alors elle ne devra pas l’être.”

“Je suis très satisfait de tous les directeurs artistiques que j’ai actuellement à mes côtés, et je n’ai pas le sentiment d’être en permanence sur leur dos pour m’assurer que les choses soient faites correctement. Je ne passe pas du tout mon temps à faire de la microgestion. On procède aujourd’hui de telle sorte que Paul [Jones, directeur artistique] présente différents concepts et dit ‘Voici quatre formes pour un vaisseau. Laquelle préférez-vous ?’ Puis on en discute et on part de ça.”

Il y a une grande partie de Star Citizen qui est tout simplement irréaliste, bien que peu de choses soient vraiment impossibles à faire. Avec assez de temps et d’argent et des gens intelligents, tout peut être fait, pas vrai ? – Source CIG

J’ai demandé à Jones, le directeur artistique de Foundry 42, comment cela se passait pour lui. “Avoir les bonnes personnes et procéder à des recrutements clés, c’est assurément ce qui a lancé la machine”, m’a-t-il expliqué. “C’est toujours difficile avec l’art, l’art est toujours subjectif. En tant que directeurs artistiques, notre rôle est de […] rentrer dans la tête de Chris [et] de lui apporter ce qu’il veut. Il ne s’agit pas uniquement de nous. On ne néglige pas pour autant notre patte : on retravaille énormément la façon dont [un vaisseau] doit atterrir, où devrait se trouver la trappe, [en trouvant] des mécanismes sympas pour les trains d’atterrissage. Des choses dont il ne devrait pas se soucier. On discute énormément et si on fait correctement notre travail, lorsqu’on présente notre idée il devrait simplement dire “Ouais, cool” ou “Ajustez ça”, et ensuite il n’aura pas à y repenser.”

“On se réunie régulièrement avec lui pour vérifier à peu près tout, et une fois qu’on a une bonne idée de ce qu’il recherche on peut commencer à répartir les différentes tâches pour le produire. C’est comme ça que ça devrait être. Il devrait pouvoir nous faire confiance pour sortir ce dont il a besoin.”

Envers ses détracteurs, Roberts ne s’excuse aucunement : “Je suis assez déterminé, mais laissez-moi vous dire que c’est ce qui a fait de Wing Commander le jeu qu’il était. C’est la seule façon dont je sais m’y prendre. Je ne veux pas faire de compromis sur certaines choses et je m’obstine. Parfois, ça peut être dur ou frustrant pour quelqu’un d’autre de le supporter, mais je ne veux pas changer. Je ne fais pas ça pour toujours faire ami avec tout le monde, j’aime penser que je suis affable, mais je fais vraiment ça pour créer quelque chose que je vois dans ma tête. Je veux que d’autres gens y jouent et je veux y jouer.”

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Star Citizen peut-il être réalisé ?

J’ai demandé à chacune de mes sources si elles pensaient que Star Citizen pouvaient vraiment être réalisé, en sachant ce qu’elles font, et aucun consensus ne se dégage. Mais toutes s’accordent pour dire que le projet “sur-ambitieux”.

Une source, par exemple, a déclaré : “Il y a une grande partie de Star Citizen qui est tout simplement irréaliste, bien que peu de choses soient vraiment impossibles à faire. Avec assez de temps et d’argent et des gens intelligents, tout peut être fait, pas vrai ? Je pense que le jeu souffre du même problème qui a mis à mal tout développement de jeu vidéo depuis leur création : une sur-ambition. Tous les jeux jamais créés ont vu une partie de leur contenu supprimée, ou abandonnée, ou retravaillée parce qu’elle s’avérait trop importante.”

“Star Citizen est parti d’un développement modeste ayant un but spécifique à atteindre avec un ensemble spécifique de technologies, ce qui convenait parfaitement – et puis il a de plus en plus grossi. Plutôt que de s’adapter à de nouvelles technologies et approches pour le nouvel objectif, ils ont gardé ce qu’ils avaient, ce qui a tout ralenti. Au final, ce qu’ils auraient dû faire c’était de se fixer un but après Kickstarter et dire “Très bien, on va jusqu’à 25 millions de dollars”, et une fois que cela aurait été attends, ils auraient dû dire “On a fini. Voici le jeu que l’on peut faire avec 25 millions de dollars dans ce laps de temps.”

“Mais au lieu de ça, ils le laissent prendre de plus en plus d’ampleur. Je sais qu’ils ont dit ‘nous n’ajouterons pas de nouvelles fonctionnalités’, mais la liste des fonctionnalités qu’ils doivent déjà créer est tellement longue et large, et la technologie qu’ils essaient d’adapter accuse le coup. S’ils avaient un délai infini, de l’argent infini et que tous ceux qui travaillent dessus avaient une patience infinie alors, ouais, à la fin vous pourriez voir quelque chose qui pourait être cool.”

Si cela arrivait alors je croirais en Dieu. – Source CIG

Une autre source était tout simplement convaincu que Star Citizen ne pouvait pas être fait. “Pas avec ce qu’ils ont promis, ça c’est certain. Si cela arrivait alors je croirais en Dieu.” Elle ajouta : “Le plus gros obstacle qui empêche de le finir, si vous stoppiez les récoltes de fond et imposiez un délai, c’est l’ambition. Ils pourraient faire un jeu plus modeste. Ils pourraient faire un super jeu de combats spatiaux et il marcherait probablement très bien. C’est ce que pensent la plupart des gens dans le milieu.”

Une autre source déclara que si l’équipe s’était concentrée sur un seul et même module au début, alors le jeu “aurait pu être terminé il y a un an”, et “ensuite CIG aurait pu continuer de travailler dessus et sortir des mises à jour”.

“Arrêtez d’essayer de donner à votre public chaque morceau du jeu et de dire qu’il a le niveau d’une bêta”, poursuivit la source. “Dites plutôt ‘Eh, écoutez, on va vous donner un petit morceau de ceci, et un extrait de cela. On va les peaufiner pour qu’elles atteignent les critères d’une bêta, les diffuser, s’en servir pour récolter des fonds et ensuite on va arrêter de se reposer sur des objets inexistants pour maintenir le jeu à flot’. On pourrait vraiment maintenant le jeu à flot avec des vrais éléments de jeu.”

Aux détracteurs de Star Citizen, Todd Papy, directeur conceptuel au studio de Francfort, a déclaré : “Je suis un solide partisan du ‘Dites-moi que je ne peux pas faire ceci et je vous prouverai le contraire’. Pour moi, c’est l’état d’esprit qu’il faut que vous ayez au sein de cette entreprise. Les gars que nous avons ici croient au jeu; ils ne seraient pas là si ce n’était pas le cas. Ils comprennent les enjeux qui les attendent et nous avons nos hauts et nos bas.”

“Je suis bien plus heureux au stade où nous sommes aujourd’hui”, m’a confié Roberts à qui j’ai posé la même question. “J’ai l’impression de mieux contrôler la bête. Au début c’était comme si vous étiez sur le dos d’un cheval sauvage qui rue et que vous essayez de rester dessus, tout en le dirigeant là où vous voulez qu’il aille. Maintenant je me sens bien. Je sais qu’il y a énormément de travail à faire mais j’ai le sentiment que nous avons une organisation qui peut le réaliser ; peut-être qu’elle ne le réalisera pas aussi rapidement que ce que tout le monde voudrait, mais c’est aussi ce qui la rend unique.”

Malgré tout ce qui a pu se passer, toutes les personnes à qui je me suis adressé pour rédiger cet article louaient le talent de leurs collègues. Mes sources s’accordèrent pour dire qu’elles travaillaient avec certains des meilleurs développeurs qu’ils aient rencontrés dans le milieu.

Une personne l’a d’ailleurs très bien formulé : “Chris Roberts est entouré de personnes incroyablement talentueuses qu’il pousse dans leurs retranchements, puis il leur demande de rester ici. Il y a eu des choses absolument incroyables qui sont sorties de Star Citizen. Assez pour remplir plusieurs jeux AAA. Si Star Citizen finit par atteindre les objectifs que Roberts a fixé (en fouettant ses chevaux à mort pour franchir la ligne d’arrivée), alors il ne fait aucun doute à mes yeux que ce jeu sera fantastique.”

Si Star Citizen finit par atteindre les objectifs que Roberts a fixé (en fouettant ses chevaux à mort pour franchir la ligne d’arrivée), alors il ne fait aucun doute à mes yeux que ce jeu sera fantastique. – Source CIG

“Sera-t-il agréable à jouer ? Pas sûr. Fera-t-il office de présentation pour une incroyable technologie et de magnifiques créations ? Absolument.”

Une autre chose qui apparaissait clairement lors de mes conversations avec des membres actuels de CIG, qu’il s’agisse de gens ayant survécu à ces années tumultueuses ou n’étant pas là à l’époque : ils croient toujours que Star Citizen est réalisable, et ils y travaillent dur. Mais aucun ne jeu ne peut être fait sur la simple base d’une croyance. À l’heure actuelle, il n’y a pas de Star Citizen. Il y a différentes démos publiques, mais rien de plus que des démos. Il n’y a pas de jeu.

Star Citizen est le plus gros succès dans l’histoire du financement participatif. Jusqu’à présent, l’histoire de son développement instable est fascinante – et, comme nous l’avons découvert, bien plus complexe qu’elle n’y paraît de l’extérieur. Mais tôt ou tard, Roberts et son équipe devront sortir un jeu, ou tout ceci ne sera que le prélude de l’échec de développement le plus cher de tous les temps.

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Illustration par Mark Wynne. Assistance de recherche par Rich Wordsworth et Christopher Bateman. Cet article fait partie d’une série en cours sur Star Citizen par Kotaku UK, rédigée après sept mois d’investigation.

Traduction et relecture par Duboismarneus, Hotaru, Finstern.

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